Métrique en Ligne
HUG_7/HUG637
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
V
SILHOUETTES DU TEMPS JADIS
II
FUITE EN SOLOGNE
AU POÈTE MÉRANTE
I
Ami, viens me rejoindre. 6
Les bois sont innocents. 6
Il est bon de voir poindre 6
L'aube des paysans. 6
5 Paris, morne et farouche, 6
Pousse des hurlements 6
Et se tord sous la douche 6
Des noirs événements. 6
Il revient, loi sinistre, 6
10 Étrange état normal ! 6
À l'ennui par le cuistre 6
Et par le monstre au mal. 6
II
J'ai fui ; viens. C'est dans l'ombre 6
Que nous nous réchauffons. 6
15 J'habite un pays sombre 6
Plein de rêves profonds. 6
Les récits de grand-mère 6
Et les signes de croix 6
Ont mis une chimère 6
20 Charmante dans les bois. 6
Ici, sous chaque porte, 6
S'assied le fabliau, 6
Nain du foyer qui porte 6
Perruque in-folio. 6
25 L'elfe dans les nymphées 6
Fait tourner ses fuseaux ; 6
Ici l'on a des fées 6
Comme ailleurs des oiseaux. 6
Le conte, aimé des chaumes, 6
30 Trouve au bord des chemins, 6
Parfois, un nid de gnomes 6
Qu'il prend dans ses deux mains. 6
Les follets sont des drôles 6
Pétris d'ombre et d'azur 6
35 Qui font au creux des saules 6
Un flamboiement obscur. 6
Le faune aux doigts d'écorce 6
Rapproche par moments 6
Sous la table au pied torse 6
40 Les genoux des amants. 6
Le soir un lutin cogne 6
Aux plafonds des manoirs ; 6
Les étangs de Sologne 6
Sont de pâles miroirs. 6
45 Les nénuphars des berges 6
Me regardent la nuit ; 6
Les fleurs semblent des vierges ; 6
L'âme des choses luit. 6
III
Cette bruyère est douce ; 6
50 Ici le ciel est bleu, 6
L'homme vit, le blé pousse 6
Dans la bonté de Dieu. 6
J'habite sous les chênes 6
Frémissants et calmants ; 6
55 L'air est tiède, et les plaines 6
Sont des rayonnements. 6
Je me suis fait un gîte 6
D'arbres, sourds à nos pas ; 6
Ce que le vent agite, 6
60 L'homme ne l'émeut pas. 6
Le matin, je sommeille 6
Confusément encor. 6
L'aube arrive vermeille 6
Dans une gloire d'or. 6
65 — Ami, dit la ramée, 6
Il fait jour maintenant. 6
Une mouche enfermée 6
M'éveille en bourdonnant. 6
IV
Viens, loin des catastrophes, 6
70 Mêler sous nos berceaux 6
Le frisson de tes strophes 6
Au tremblement des eaux. 6
Viens, l'étang solitaire 6
Est un poème aussi. 6
75 Les lacs ont le mystère, 6
Nos cœurs ont le souci. 6
Tout comme l'hirondelle, 6
La stance quelquefois 6
Aime à mouiller son aile 6
80 Dans la mare des bois. 6
C'est, la tête inondée 6
Des pleurs de la forêt, 6
Que souvent le spondée 6
À Virgile apparaît. 6
85 C'est des sources, des îles, 6
Du hêtre et du glaïeul 6
Que sort ce tas d'idylles 6
Dont Tityre est l'aïeul. 6
Segrais, chez Pan son hôte, 6
90 Fit un livre serein 6
Où la grenouille saute 6
Du sonnet au quatrain. 6
Pendant qu'en sa nacelle 6
Racan chantait Babet, 6
95 Du bec de la sarcelle 6
Une rime tombait. 6
Moi, ce serait ma joie 6
D'errer dans la fraîcheur 6
D'une églogue où l'on voie 6
100 Fuir le martin-pêcheur. 6
L'ode même, superbe, 6
Jamais ne renia 6
Toute cette grande herbe 6
Où rit Titania. 6
105 Ami, l'étang révèle 6
Et mêle, brin à brin, 6
Une flore nouvelle 6
Au vieil alexandrin. 6
Le style se retrempe 6
110 Lorsque nous le plongeons 6
Dans cette eau sombre où rampe 6
Un esprit sous les joncs. 6
Viens, pour peu que tu veuilles 6
Voir croître dans ton vers 6
115 La sphaigne aux larges feuilles 6
Et les grands roseaux verts. 6
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