Métrique en Ligne
HUG_7/HUG629
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
IV
POUR D'AUTRES
VII
CHOSES ÉCRITES À CRÉTEIL
Sachez qu'hier, de ma lucarne, 8
J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux 8
Une fille qui dans la Marne 8
Lavait des torchons radieux. 8
5 Près d'un vieux pont, dans les saulées, 8
Elle lavait, allait, venait ; 8
L'aube et la brise étaient mêlées 8
À la grâce de son bonnet. 8
Je la voyais de loin. Sa mante 8
10 L'entourait de plis palpitants. 8
Aux folles broussailles qu'augmente 8
L'intempérance du printemps, 8
Aux buissons que le vent soulève, 8
Que juin et mai, frais barbouilleurs, 8
15 Foulant la cuve de la sève, 8
Couvrent d'une écume de fleurs, 8
Aux sureaux pleins de mouches sombres, 8
Aux genêts du bord, tous divers 8
Aux joncs échevelant leurs ombres 8
20 Dans la lumière des flots verts, 8
Elle accrochait des loques blanches, 8
Je ne sais quels haillons charmants 8
Qui me jetaient, parmi les branches, 8
De profonds éblouissements. 8
25 Ces nippes, dans l'aube dorée, 8
Semblaient, sous l'aulne et le bouleau, 8
Les blancs cygnes de Cythérée 8
Battant de l'aile au bord de l'eau. 8
Des cupidons, fraîche couvée, 8
30 Me montraient son pied fait au tour ; 8
Sa jupe semblait relevée 8
Par le petit doigt de l'amour. 8
On voyait, je vous le déclare, 8
Un peu plus haut que le genou. 8
35 Sous un pampre un vieux faune hilare 8
Murmurait tout bas : Casse-cou ! 8
Je quittai ma chambre d'auberge, 8
En souriant comme un bandit ; 8
Et je descendis sur la berge 8
40 Qu'une herbe, glissante, verdit. 8
Je pris un air incendiaire 8
Je m'adossai contre un pilier, 8
Et je lui dis: « Ô lavandière ! 8
(Blanchisseuse étant familier) 8
45 « L'oiseau gazouille, l'agneau bêle, 8
« Gloire à ce rivage écarté ! 8
« Lavandière, vous êtes belle. 8
« Votre rire est de la clarté. 8
« Je suis capable de faiblesses. 8
50 « Ô lavandière, quel beau jour ! 8
« Les fauvettes sont des drôlesses 8
« Qui chantent des chansons d'amour. 8
« Voilà six mille ans que les roses 8
« Conseillent, en se prodiguant, 8
55 « L'amour aux cœurs les plus moroses. 8
« Avril est un vieil intrigant. 8
« Les rois sont ceux qu'adorent celles 8
« Qui sont charmantes comme vous ; 8
« La Marne est pleine d'étincelles ; 8
60 « Femme, le ciel immense est doux. 8
« Ô laveuse à la taille mince 8
« Qui vous aime est dans un palais. 8
« Si vous vouliez, je serais prince ; 8
« Je serais dieu, si tu voulais.» 8
65 La blanchisseuse, gaie et tendre, 8
Sourit, et, dans le hameau noir, 8
Sa mère au loin cessa d'entendre 8
Le bruit vertueux du battoir. 8
Les vieillards grondent et reprochent, 8
70 Mais, ô jeunesse ! il faut oser. 8
Deux sourires qui se rapprochent 8
Finissent par faire un baiser. 8
Je m'arrête. L'idylle est douce, 8
Mais ne veut pas, je vous le dis, 8
75 Qu'au delà du baiser on pousse 8
La peinture du paradis. 8
logo du CRISCO logo de l'université