Métrique en Ligne
HUG_7/HUG628
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
IV
POUR D'AUTRES
VI
DIZAIN DE FEMMES
Une de plus que les muses ; 7
Elles sont dix. On croirait, 7
Quand leurs jeunes voix confuses 7
Bruissent dans la forêt, 7
5 Entendre, sous les caresses 7
Des grands vieux chênes boudeurs, 7
Un brouhaha de déesses 7
Passant dans les profondeurs. 7
Elles sont dix châtelaines 7
10 De tout le pays voisin. 7
La ruche vers leurs haleines 7
Envoie en chantant l'essaim. 7
Elles sont dix belles folles, 7
Démons dont je suis cagot ; 7
15 Obtenant des auréoles 7
Et méritant le fagot. 7
Que de cœurs cela dérobe, 7
Même à nous autres manants ! 7
Chacune étale à sa robe 7
20 Quatre volants frissonnants, 7
Et court par les bois, sylphide 7
Toute parée, en dépit 7
De la griffe qui, perfide, 7
Dans les ronces se tapit. 7
25 Oh ! ces anges de la terre ! 7
Pensifs, nous les décoiffons ; 7
Nous adorons le mystère 7
De la robe aux plis profonds. 7
Jadis Vénus sur la grève 7
30 N'avait pas l'attrait taquin 7
Du jupon qui se soulève 7
Pour montrer le brodequin. 7
Les antiques Arthémises 7
Avaient des fronts élégants, 7
35 Mais n'étaient pas si bien mises 7
Et ne portaient point de gants. 7
La gaze ressemble au rêve ; 7
Le satin, au pli glacé, 7
Brille, et sa toilette achève 7
40 Ce que l'œil a commencé. 7
La marquise en sa calèche 7
Plaît, même au butor narquois ; 7
Car la grâce est une flèche 7
Dont la mode est le carquois. 7
45 L'homme, sot par étiquette, 7
Se tient droit sur son ergot ; 7
Mais Dieu créa la coquette 7
Dès qu'il eut fait le nigaud. 7
Oh ! toutes ces jeunes femmes, 7
50 Ces yeux où flambe midi, 7
Ces fleurs, ces chiffons, ces âmes, 7
Quelle forêt de Bondy ! 7
Non, rien ne nous dévalise 7
Comme un minois habillé, 7
55 Et comme une Cydalise 7
Où Chapron a travaillé ! 7
Les jupes sont meurtrières. 7
La femme est un canevas 7
Que, dans l'ombre, aux couturières 7
60 Proposent les Jéhovahs. 7
Cette aiguille qui l'arrange 7
D'une certaine façon 7
Lui donne la force étrange 7
D'un rayon dans un frisson. 7
65 Un ruban est une embûche, 7
Une guimpe est un péril ; 7
Et, dans l'Éden, où trébuche 7
La nature à son avril, 7
Satanque le diable enlève ! 7
70 N'eût pas risqué son pied-bot 7
Si Dieu sur les cheveux d'Ève 7
Eût mis un chapeau d'Herbaut. 7
Toutes les dix, sous les voûtes, 7
Des grands arbres, vont chantant ; 7
75 On est amoureux de toutes ; 7
On est farouche et content. 7
On les compare, on hésite 7
Entre ces robes qui font 7
La lueur d'une visite 7
80 Arrivant du ciel profond. 7
Oh ! pour plaire à cette moire, 7
À ce gros de Tours flambé, 7
On se rêve plein de gloire, 7
On voudrait être un abbé. 7
85 On sort du hallier champêtre, 7
La tête basse, à pas lents, 7
Le cœur pris, dans ce bois traître, 7
Par les quarante volants. 7
logo du CRISCO logo de l'université