Métrique en Ligne
HUG_7/HUG620
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
III
POUR JEANNE SEULE
V
Ami, j'ai quitté vos fêtes. 7
Mon esprit, à demi-voix, 7
Hors de tout ce que vous faites, 7
Est appelé par les bois. 7
5 J'irai, loin des murs de marbre, 7
Tant que je pourrai marcher, 7
Fraterniser avec l'arbre, 7
La fauvette et le rocher. 7
Je fuirai loin de la ville 7
10 Tant que Dieu clément et doux 7
Voudra me mettre un peu d'huile 7
Entre les os des genoux. 7
Ne va pas croire du reste 7
Que, bucolique et hautain, 7
15 J'exige, pour être agreste, 7
Le vieux champ grec ou latin ; 7
Ne crois pas que ma pensée, 7
Vierge au soupir étouffé, 7
Ne sachant où prendre Alcée, 7
20 Se rabatte sur d'Urfé ; 7
Ne crois pas que je demande 7
L'Hémus où Virgile erra. 7
Dans de la terre normande 7
Mon églogue poussera. 7
25 Pour mon vers, que l'air secoue, 7
Les pommiers sont suffisants ; 7
Et mes bergers, je l'avoue, 7
Ami, sont des paysans. 7
Mon idylle est ainsi faite ; 7
30 Franche, elle n'a pas besoin 7
D'avoir dans son miel l'Hymète 7
Et l'Arcadie en son foin. 7
Elle chante, et se contente, 7
Sur l'herbe où je viens m'asseoir, 7
35 De l'haleine haletante 7
Du bœuf qui rentre le soir. 7
Elle n'est point misérable 7
Et ne pense pas déchoir 7
Parce qu'Alain, sous l'érable, 7
40 Ôte à Toinon son mouchoir. 7
Elle honore Théocrite ; 7
Mais ne se fâche pas trop 7
Que la fleur soit Marguerite 7
Et que l'oiseau soit Pierrot. 7
45 J'aime les murs pleins de fentes 7
D'où sortent les liserons, 7
Et les mouches triomphantes 7
Qui soufflent dans leurs clairons. 7
J'aime l'église et ses tombes, 7
50 L'invalide et son bâton ; 7
J'aime, autant que les colombes 7
Qui jadis venaient, dit-on, 7
Conter leurs métempsycoses 7
À Terpandre dans Lesbos, 7
55 Les petites filles roses 7
Sortant du prêche en sabots. 7
J'aime autant Sedaine et Jeanne 7
Qu'Orphée et Pratérynnis. 7
Le blé pousse, l'oiseau plane, 7
60 Et les cieux sont infinis. 7
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