Métrique en Ligne
HUG_7/HUG613
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
II
LES COMPLICATIONS DE L'IDÉAL
VII
MEUDON
Pourquoi pas montés sur des ânes ? 8
Pourquoi pas au bois de Meudon ? 8
Les sévères sont les profanes ; 8
Ici tout est joie et pardon. 8
5 Rien n'est tel que cette ombre verte, 8
Et que ce calme un peu moqueur, 8
Pour aller à la découverte 8
Tout au fond de son propre cœur. 8
On chante. L'été nous procure 8
10 Un bois pour nous perdre. Ô buissons ! 8
L'amour met dans la mousse obscure 8
La fin de toutes les chansons. 8
Paris foule ces violettes ; 8
Breda, terre où Ninon déchut, 8
15 Y répand ces vives toilettes 8
À qui l'on dirait presque : Chut ! 8
Prenez garde à ce lieu fantasque ! 8
Ève à Meudon achèvera 8
Le rire ébauché sous le masque 8
20 Avec le diable à l'Opéra. 8
Le démon dans ces bois repose ; 8
Non le grand vieux Satan fourchu ; 8
Mais ce petit Belzébuth rose 8
Qu'Agnès cache dans son fichu. 8
25 On entre plein de chaste flamme, 8
L'œil au ciel, le cœur dilaté ; 8
On est ici conduit par l'âme, 8
Mais par le faune on est guetté. 8
La source, c'est la nymphe nue ; 8
30 L'ombre au doigt vous passe un anneau ; 8
Et le liseron insinue 8
Ce que conseille le moineau. 8
Tout chante ; et pas de fausses notes. 8
L'hymne est tendre ; et l'esprit de corps 8
35 Des fauvettes et des linottes 8
Éclate en ces profonds accords. 8
Ici l'aveu que l'âme couve 8
Échappe aux cœurs les plus discrets ; 8
La clef des champs qu'à terre on trouve 8
40 Ouvre le tiroir aux secrets. 8
Ici l'on sent, dans l'harmonie, 8
Tout ce que le grand Pan caché 8
Peut mêler de vague ironie 8
Au bois sombre où rêve Psyché. 8
45 Les belles deviennent jolies ; 8
Les cupidons viennent et vont ; 8
Les roses disent des folies 8
Et les chardonnerets en font. 8
La vaste genèse est tournée 8
50 Vers son but : renaître à jamais. 8
Tout vibre ; on sent de l'hyménée 8
Et de l'amour sur les sommets. 8
Tout veut que tout vive et revive, 8
Et que les cœurs et que les nids, 8
55 L'aube et l'azur, l'onde et la rive, 8
Et l'âme et Dieu, soient infinis. 8
Il faut aimer. Et sous l'yeuse, 8
On sent, dans les beaux soirs d'été, 8
La profondeur mystérieuse 8
60 De cette immense volonté. 8
Cachant son feu sous sa main rose, 8
La vestale ici n'entendrait 8
Que le sarcasme grandiose 8
De l'aurore et de la forêt. 8
65 Le printemps est une revanche. 8
Ce bois sait à quel point les thyms, 8
Les joncs, les saules, la pervenche, 8
Et l'églantier, sont libertins. 8
La branche cède, l'herbe plie ; 8
70 L'oiseau rit du prix Montyon ; 8
Toute la nature est remplie 8
De rappels à la question. 8
Le hallier sauvage est bien aise 8
Sous l'œil serein de Jéhovah, 8
75 Quand un papillon déniaise 8
Une violette, et s'en va. 8
Je me souviens qu'en mon bas âge, 8
Ayant à peine dix-sept ans, 8
Ma candeur un jour fit usage 8
80 De tous ces vieux rameaux flottants. 8
J'employai, rôdant avec celle 8
Qu'admiraient mes regards heureux, 8
Toute cette ombre où l'on chancelle, 8
À me rendre plus amoureux. 8
85 Nous fîmes des canapés d'herbes ; 8
Nous nous grisâmes de lilas ; 8
Nous palpitions, joyeux, superbes, 8
Éblouis, innocents, hélas ! 8
Penchés sur tout, nous respirâmes 8
90 L'arbre, le pré, la fleur, Vénus ; 8
Ivres, nous remplissions nos âmes 8
De tous les souffles inconnus. 8
Nos baisers devenaient étranges, 8
De sorte que, sous ces berceaux, 8
95 Après avoir été deux anges, 8
Nous n'étions plus que deux oiseaux. 8
C'était l'heure où le nid se couche, 8
Où dans le soir tout se confond ; 8
Une grande lune farouche 8
100 Rougissait dans le bois profond. 8
L'enfant, douce comme une fête, 8
Qui m'avait en chantant suivi, 8
Commençait, pâle et stupéfaite, 8
À trembler de mon œil ravi ; 8
105 Son sein soulevait la dentelle… 8
Homère ! ô brouillard de l'Ida: 8
— Marions-nous ! s'écria-t-elle, 8
Et la belle fille gronda : 8
— Cherche un prêtre, et sans plus attendre, 8
110 Qu'il nous marie avec deux mots. 8
Puis elle reprit, sans entendre 8
Le chuchotement des rameaux, 8
Sans remarquer dans ce mystère 8
Le profil des buissons railleurs : 8
115 — Mais où donc est le presbytère ? 8
Quel est le prêtre de ces fleurs ? 8
Un vieux chêne était là ; sa tige 8
Eût orné le seuil d'un palais. 8
— Le curé de Meudon ? Lui dis-je. 8
120 L'arbre me dit : — C'est Rabelais. 8
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