Métrique en Ligne
HUG_6/HUG123
Victor HUGO
LES ORIENTALES
1829
XXI
Lazzara
Et cette femme était fort belle.
Rois, chap. XI, v. 2.
Comme elle court ! voyez ! — par les poudreux sentiers, 12
Par les gazons tout pleins de touffes d'églantiers, 12
Par les blés où le pavot brille, 8
Par les chemins perdus, par les chemins frayés, 12
5 Par les monts, par les bois, par les plaines, voyez 12
Comme elle court, la jeune fille ! 8
Elle est grande, elle est svelte, et quand, d'un pas joyeux, 12
Sa corbeille de fleurs sur la tête, à nos yeux 12
Elle apparaît vive et folâtre, 8
10 À voir sur son beau front s'arrondir ses bras blancs, 12
On croirait voir de loin, dans nos temples croulants, 12
Une amphore aux anses d'albâtre. 8
Elle est jeune et rieuse, et chante sa chanson. 12
Et, pieds nus, près du lac, de buisson en buisson, 12
15 Poursuit les vertes demoiselles. 8
Elle lève sa robe et passe les ruisseaux. 12
Elle va, court, s'arrête, et vole, et les oiseaux 12
Pour ses pieds donneraient leurs ailes. 8
Quand le soir, pour la danse on va se réunir, 12
20 À l'heure où l'on entend lentement revenir 12
Les grelots du troupeau qui bêle, 8
Sans chercher quels atours à ses traits conviendront, 12
Elle arrive, et la fleur qu'elle attache à son front 12
Nous semble toujours la plus belle. 8
25 Certes, le vieux Omer, pacha de Négrepont, 12
Pour elle eût tout donné, vaisseaux à triple pont, 12
Foudroyantes artilleries, 8
Harnois de ses chevaux, toisons de ses brebis, 12
Et son rouge turban de soie, et ses habits 12
30 Tout ruisselants de pierreries ; 8
Et ses lourds pistolets, ses tromblons évasés, 12
Et leurs pommeaux d'argent par sa main rude usés, 12
Et ses sonores espingoles, 8
Et son courbe damas, et, don plus riche encor, 12
35 La grande peau de tigre où pend son carquois d'or, 12
Hérissé de flèches mogoles. 8
Il eût donné sa housse et son large étrier ; 12
Donné tous ses trésors avec le trésorier ; 12
Donné ses trois cents concubines ; 8
40 Donné ses chiens de chasse aux colliers de vermeil ; 12
Donné ses Albanais, brûlés par le soleil, 12
Avec leurs longues carabines. 8
Il eût donné les Francs, les Juifs et leur rabbin ; 12
Son kiosque rouge et vert, et ses salles de bain 12
45 Aux grands pavés de mosaïque ; 8
Sa haute citadelle aux créneaux anguleux ; 12
Et sa maison d'été qui se mire aux flots bleus 12
D'un golfe de Cyrénaïque. 8
Tout ! jusqu'au cheval blanc, qu'il élève au sérail, 12
50 Dont la sueur à flots argente le poitrail ; 12
Jusqu'au frein que l'or damasquine ; 8
Jusqu'à cette Espagnole, envoi du dey d'Alger, 12
Qui soulève, en dansant son fandango léger, 12
Les plis brodés de sa basquine ! 8
55 Ce n'est point un pacha, c'est un klephte à l'œil noir 12
Qui l'a prise, et qui n'a rien donné pour l'avoir ; 12
Car la pauvreté l'accompagne ; 8
Un klephte a pour tous biens l'air du ciel, l'eau des puits, 12
Un bon fusil bronzé par la fumée, et puis 12
60 La liberté sur la montagne. 8
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