Métrique en Ligne
HUG_5/HUG883
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
DERNIÈRE SÉRIE
1883
XIII
L'AMOUR
Il faut boire et frapper la terre d'un pied libre ! 12
Dit Horace ; et la chose est vraie aux bords du Tibre, 12
Vraie aux bords de la Seine ; et songeons aux amours, 12
Maintenant, dit Horace, et moi je dis : Toujours ! 12
5 Amis ! amis ! amis ! soyons tous frères ! gloire 12
A la beauté, vêtue ou non ! Va-t'en, nuit noire ! 12
La jeune année arrive avec l'aurore au front, 12
Remet le temps à neuf, court d'un pas leste et prompt, 12
Lave le ciel, sourit à la terre engourdie, 12
10 Et commence gaîment, par une mélodie, 12
Le printemps. Chantez, nids ! O fleurs, dans les fossés, 12
Les ravins, les étangs, les bois, les champs, croissez ! 12
Boutons d'or que j'ai vus jadis aux Feuillantines, 12
Renaissez ! Fourmillez, liserons, églantines, 12
15 Pâquerettes, iris, muguets, lilas, jasmins ! 12
Le petit enfant mai frappe dans ses deux mains. 12
Allons, dépêchez-vous de naître, il vous appelle. 12
Il veut parer la terre ainsi qu'une chapelle. 12
Et mettre une guirlande autour du genre humain. 12
20 Avril s'appelle Amour et juin s'appelle Hymen, 12
Le fruit suivra la fleur. Faisons des nids, fauvettes ! 12
La jeune fille rêve et rit quand vous en faites, 12
Donnez l'exemple, oiseaux ! les vierges aux yeux doux 12
Vous regardent, ayant des ailes comme vous. 12
25 J'erre ; un vent tiède émeut les bois, je vois les scènes 12
Que font les pauvres fleurs aux papillons obscènes ; 12
Le lys vers le bourdon se penche, et, l'écoutant, 12
A l'air de s'écrier : Ah ! vous m'en direz tant ! 12
L'ombre a le tremblement sonore d'une tente 12
30 Et cache les amours ; la nature est contente ; 12
Et la fécondité fermente ; et les appas, 12
Les soupirs, les baisers ne s'inquiètent pas 12
Si quelque orage couve, et si cette gorgone, 12
La foudre, au loin, là-bas, à l'horizon bougonne. 12
35 Le vallon fleuri semble un encensoir fumant. 12
Quelqu'un a mis le feu partout, l'embrasement 12
Va de l'arbre au nuage et du ciel à la terre ; 12
La prairie a l'éclat glorieux d'un cratère, 12
Partout des fleurs de pourpre, et tout flambe et tout luit, 12
40 Et la création bouillonnant à grand bruit 12
Bout tout entière ainsi qu'une eau dans la chaudière, 12
Et tout rit, le soleil étant l'incendiaire. 12
Oh ! quelle vaste joie en cet abîme bleu ! 12
A toute cette aurore il faudra dire adieu. 12
45 Hélas ! cela finit par s'éteindre, une fête ! 12
Nous n'y consentons pas, on détourne la tête, 12
A chaque heure qui passe on veut se retenir. 12
Mais rien ne ralentit le pas de l'avenir, 12
Il ne demande pas la permission d'être, 12
50 Il vient. Souvenons-nous que Demain est un traître, 12
Et, puisque nous avons Aujourd'hui, jouissons. 12
L'eau qui fuit en chantant nous donne des leçons, 12
Fuyons, mais chantons. L'air est plein de senteurs douces, 12
Un ensemencement de fleurs couvre les mousses. 12
55 L'homme est ombre ; on ne peut guère dire pourquoi 12
Nous sommes sur la terre. Eh bien, je le dis, moi, 12
C'est pour aimer. Et Dieu nous a créés pour faire 12
Éclore un peu d'amour sur cette obscure sphère 12
Et pour faire lever un astre dans nos cœurs. 12
60 Être deux, c'est la loi. Les merles, ces moqueurs, 12
L'observent aussi bien que le ramier fidèle. 12
Si la nature, avec de si puissants coups d'aile, 12
Remue éperdument et partout à la fois 12
La vie au fond des mers, des cieux, des champs, des bois, 12
65 C'est afin d'arriver à son but, faire un couple. 12
Si le chêne est solide et si la branche est souple, 12
C'est parce que le nid a besoin dans l'azur 12
Que le rameau soit tendre, et que l'arbre soit sûr. 12
L'ombre en son innocence énorme a le satyre. 12
70 L'homme cherche, la vierge attend, la femme attire : 12
Léandre veut Héro, Manon veut Desgrieux ; 12
Sachez cela, vous tous, vivants mystérieux. 12
Paix aux cœurs douloureux et joie aux fronts moroses ! 12
Quel tourbillonnement éblouissant de roses ! 12
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