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L'homme est humilié de son lot ; il se croit |
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Fait pour un ciel plus pur, pour un sort moins étroit ; |
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L'homme ne trouve pas de sa dignité d'être |
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Malade, las, souffrant, errant sans rien connaître |
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Pareil au bœuf qui mange, au bouc qui s'assouvit, |
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Poudreux d'un cas qu'il fait, souillé d'un jour qu'il vit, |
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Fatigué du seul poids de l'heure vaine, esclave |
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Du lit qui le repose et du bain qui le lave ; |
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Il s'irrite, il s'indigne ; il se déclare enfin |
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Avili par la soif, insulté par la faim. |
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Hélas ! vieillir, trembler comme une feuille d'arbre, |
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Se refroidir, sentir ses os devenir marbre, |
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Après des songes noirs avoir de froids réveils, |
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Quel sort ! et l'homme pleure. |
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Quel sort ! et l'homme pleure. — Eh, disent les soleils, |
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Qu'est-ce donc que veut l'homme ? et quelle est sa folie ? |
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Le joug universel le comprime et le lie ; |
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Eh bien, que lui faut-il et de quoi se plaint-il ? |
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L'être le plus grossier, l'être le plus subtil |
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Sont courbés comme lui par la force invisible. |
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Insensé, qui voudrait étreindre l'impossible |
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Dans les crispations débiles de son poing ! |
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Il ne sait point que l'être est un ; il ne sait point |
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Que le mystère obscur couvre tout de sa brume ; |
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Que les vagues de l'ombre ont une affreuse écume |
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A qui nul front n'échappe, éblouissant ou noir, |
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Et que tout ce qui vit est fait pour recevoir |
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L'éclaboussure énorme et sombre de l'abîme. |
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Il trouve son destin trop humble et trop infime ; |
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Il se sent abaissé par le ciel écrasant ; |
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Eh ! c'est la loi commune, et rien n'en est exempt. |
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Il hait la cause ; il garde à l'infini rancune ; |
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Il voudrait être clair, limpide, sans aucune |
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De ces obscurités qui s'expliquent plus tard, |
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Que nous nommons énigme et qu'il nomme hasard ; |
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Il se rêve complet, sans tache, sans problème, |
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Portant sur son front l'aube ainsi qu'un diadème |
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Pur, lumineux, serein, parfait, calme ; il voudrait |
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Être seul en dehors de l'effrayant secret. |
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Quoi ! tout ce qui naît, vit, s'allume, se consomme, |
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Brille et meurt, ce serait pour aboutir à l'homme ! |
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L'homme serait le but du splendide univers ! |
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Mais que dirait la cendre et que diraient les vers ? |
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Quoi ! la création aurait pour toute fête |
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Et pour tout horizon d'avoir l'homme à son faîte ! |
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Dieu serait pour l'atome un piédestal d'orgueil ! |
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Non ! l'homme souffre et rampe ! il est son propre écueil ; |
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Il tremble et tombe ; il sent peser sur lui sans cesse |
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Son âme en ignorance et sa chair en bassesse ; |
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Il est triste le soir et triste le matin ; |
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Il tâte en vain le cercle où tourne son destin ; |
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L'astre qu'il porte en lui suit une obscure ellipse ; |
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La matière le voile et le sommeil l'éclipse ; |
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Son berceau cache un gouffre ainsi que son cercueil ; |
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C'est que tout a son crêpe et que tout a son deuil ! |
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Eh ! ne sommes-nous pas humiliés nous-mêmes, |
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Nous les soleils, les feux du firmament suprême, |
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Quand l'ombre ouvre l'abîme où nous nous engouffrons, |
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Avec les sombres nuits, ces immenses affronts ! — |
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