Métrique en Ligne
HUG_4/HUG799
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
NOUVELLE SÉRIE
1877
VII
LE CID EXILÉ
Le Cid exilé
I
Le Cid est exilé. Qui se souvent du Cid ? 12
Le roi veut qu'on l'oublie ; et Reuss, Almonacid, 12
Graos, tous ses exploits ressemblent à des songes ; 12
Les rois maures chassés ou pris sont des mensonges ; 12
5 Et quant à ces combats puissants qu'il a livrés, 12
Pancorbo, la bataille illustre de Givrez 12
Qui semble une volée effrayante d'épées, 12
Coca, dont il dompta les roches escarpées, 12
Gor où le Cid pleurait de voir le jour finir, 12
10 C'est offenser le roi que de s'en souvenir. 12
Même il est malséant de parler de Chimène. 12
Un homme étant allé visiter un domaine 12
Dans les pays qui sont entre l'Èbre et le Cil, 12
Du côté que le Cid habite en son exil, 12
15 A passé par hasard devant son écurie ; 12
Le duc Juan, dont cet homme est serf en Asturie, 12
Bon courtisan, l'a fait à son retour punir 12
Pour avoir entendu Babieça hennir. 12
Donc, chacun l'a pour dit, n'est pas sujet fidèle 12
20 Qui parle de Tortose et de la citadelle 12
Où le glorieux Cid arbora son drapeau ; 12
Dire ces mots : Baxa, Médina del Campo, 12
Vergara, Salinas, Mondragon-les-Tours-Noires, 12
Avec l'intention de nommer des victoires, 12
25 Ce n'est point d'un loyal Espagnol ; qu'autrefois 12
Un homme ait fait lâcher au comte Odet de Foix 12
Les infantes d'Irun, Payenne et Manteline ; 12
Que cet homme ait sauvé la Castille orpheline ; 12
Qu'il ait dans la bataille été le grand cimier ; 12
30 Que les maures, foulés par lui comme un fumier, 12
L'admirent, et, vaincus, donnent son nom célèbre 12
Au ruisseau Cidacos qui se jette dans l'Èbre ; 12
Qu'il ait rempli du bruit de ses fiers pas vainqueurs 12
Astorga, Zamora, l'Aragon, tous les cœurs ; 12
35 Qu'il ait traqué, malgré les gouffres et les pièges, 12
L'horrible Abdulmalic dans la sierra des Neiges, 12
En janvier, sans vouloir attendre le dégel ; 12
Qu'il ait osé défendre aux notaires d'Urgel 12
De dater leurs contrats de l'an du roi de France ; 12
40 Que cet homme ait pour tous été la délivrance, 12
Allant, marchant, courant, volant de tous côtés, 12
Effarant l'ennemi dans ces rapidités ; 12
Qu'on l'ait vu sous Lorca, figure surhumaine, 12
Et devant Balbastro, dans la même semaine ; 12
45 Qu'il ait, sur la tremblante échelle des hasards, 12
Calme, donné l'assaut à tous les alcazars, 12
Toujours ferme, et toujours, à Tuy comme à Valence, 12
Fier dans le tourbillon sombre des coups de lance, 12
C'est possible ; mais l'ombre est sur cet homme-là ; 12
50 Silence, Est-ce après tout grand-chose que cela ? 12
Le pont Matamoros peut vous montrer ses brèches : 12
Mais, s'il parle du Cid vainqueur, bravant les flèches, 12
On fera démolir le pont Matamoros ! 12
Le roi ne veut pas plus qu'on nomme le héros 12
55 Que le pape ne veut qu'on nomme la comète ; 12
Il n'est pas démontré que l'aigle se permette 12
De faire encor son nid dans ce mont Muradal, 12
Qui fit de Tizona la sœur de Durandal. 12
II
Du reste, comme il faut des héros pour la guerre, 12
60 Le roi, cassant le Cid, a trouvé bon d'en faire ; 12
Il en a fait. L'Espagne a des hommes nouveaux. 12
Alvar Rambla, le duc Nuño Saz y Calvos, 12
Don Gil, voilà les noms dont la foule s'effare ; 12
Ils sont dans la lumière, ils sont dans la fanfare ; 12
65 Leur moindre geste s'enfle au niveau des exploits ; 12
Et, dans leur antichambre, on entend quelquefois 12
Les pages, d'une voix féminine et hautaine, 12
Dire : — Ah oui-da, le Cid ! c'était un capitaine 12
D'alors. Vit-il encor, ce Campéador-là ? 12
70 Le Cid n'existe plus auprès d'Alvar Rambla ; 12
Gil, plus grand que le Cid, dans son ombre le cache ; 12
Nuño Saz engloutit le Cid sous son panache ; 12
Sur Achille tombé les myrmidons ont crû ; 12
Et du siècle du Cid le Cid a disparu. 12
75 L'exil, est-ce l'oubli vraiment ? Une mémoire 12
Qu'un prince étouffe est-elle éteinte pour la gloire ? 12
Est-ce à jamais qu'Alvar, Nuño, Gil, nains heureux, 12
Éclipsent le grand Cid exilé derrière eux ? 12
Quand le voyageur sort d'Oyarzun, il s'étonne, 12
80 Il regarde, il ne voit, sous le noir ciel qui tonne, 12
Que le mont d'Oyarzun, médiocre et pelé : 12
— Mais ce Pic du Midi, dont on m'avait parlé, 12
Où donc est-il ? Ce Pic, le plus haut des Espagnes, 12
N'existe point. S'il m'est caché par ces montagnes, 12
85 Il n'est pas grand. Un peu d'ombre l'anéantit. — 12
Cela dit, il s'en va, point fâché, lui petit, 12
Que ce mont qu'on disait si haut ne soit qu'un rêve. 12
Il marche, la nuit vient, puis l'aurore se lève, 12
Le voyageur repart, son bâton à la main, 12
90 Et songe, et va disant tout le long du chemin : 12
— Bah ! s'il existe un Pic du Midi, que je meure ! 12
La montagne Oyarzun est belle, à la bonne heure ! — 12
Laissant derrière lui hameaux, clochers et tours, 12
Villes et bois, il marche un jour, deux jours, trois jours ; 12
95 — Le genre humain dirait trois siècles ; — il s'enfonce 12
Dans la lande à travers la bruyère et la ronce ; 12
Enfin, par hasard, las, inattentif, distrait, 12
Il se tourne, et voici qu'à ses yeux reparaît, 12
Comme un songe revient confus à la pensée, 12
100 La plaine dont il sort et qu'il a traversée 12
L'église et la forêt, le puits et le gazon ; 12
Soudain, presque tremblant, là-bas, sur l'horizon 12
Que le soir teint de pourpre et le matin d'opale, 12
Dans un éloignement mystérieux et pâle, 12
105 Au-delà de la ville et du fleuve, au-dessus 12
D'un tas de petits monts sous la brume aperçus 12
Où se perd Oyarzun avec sa butte informe, 12
Il voit dans la nuée une figure énorme ; 12
Un mont blême et terrible emplit le fond des cieux ; 12
110 Un pignon de l'abîme, un bloc prodigieux 12
Se dresse, aux lieux profonds mêlant les lieux sublimes ; 12
Sombre apparition de gouffres et de cimes, 12
Il est là ; le regard croit, sous son porche obscur, 12
Voir le nœud monstrueux de l'ombre et de l'azur, 12
115 Et son faîte est un toit sans brouillard et sans voile 12
Où ne peut se poser d'autre oiseau que l'étoile ; 12
C'est le Pic du Midi.
L'Histoire voit le Cid.
III
Grande nouvelle. Émoi dans tout Valladolid. 12
Quoi ? Qu'est-ce donc ? Le roi se dément ! Le roi cède ! 12
120 Alphonse a pour maîtresse une fille assez laide, 12
Et qui, par cela même, on ne sait pas pourquoi, 12
Fait tout ce qu'elle veut de la raison du roi, 12
Au point qu'elle en pourrait tirer des choses sages. 12
Cette fille a-t-elle eu quelques mauvais présages ? 12
125 Ou bien le roi du peuple entend-il la rumeur ? 12
Est-il las des héros qu'il a faits par humeur ? 12
Finit-il par trouver cette gloire trop plate ? 12
Craint-il que tout à coup une guerre n'éclate 12
Qui soit vraiment méchante et veuille un vrai héros ? 12
130 Le certain, c'est qu'après le combat de taureaux 12
Son altesse un dimanche a dit dans la chapelle : 12
— Ruy Diaz de Bivar revient. Je le rappelle. 12
Je le veux, — Ils sont là plus d'un esprit subtil ; 12
Pourtant pas un n'a dit : Mais le Cid voudra-t-il ? 12
135 N'importe, il plaît au roi de revoir ce visage. 12
Pour éblouir le Cid, il charge du message 12
Un roi, l'homme entre tous vénéré dans sa cour, 12
Son vassal, son parent, le roi d'Acqs-en-Adour, 12
Santos le Roux, qu'on nomme aussi le Magnanime, 12
140 Parce qu'étant tuteur d'Atton, comte de Nîme, 12
Il le fit moine, et prit sa place, et confisqua 12
Ses biens pour les donner au couvent de Huesca. 12
IV
Ce sont de braves cœurs que les gens de la plaine ; 12
Ils chantent dans les blés un chant bizarre et fou ; 12
145 Et quant à leurs habits faits de cuir et de laine, 12
Boire les use au coude et prier, au genou. 12
Étant fils du sang basque, ils ont cet avantage 12
Sur les froids espagnols murés dans leurs maisons, 12
Qu'ils préfèrent à l'eau, fût-elle prise au Tage, 12
150 Le vin mystérieux d'où sortent les chansons. 12
Ils sont hospitaliers, prodigues, bons dans l'âme. 12
L'homme dit aux passants : Entrez, les bienvenus ! 12
Pour un petit enfant qu'elle allaite, la femme 12
Montre superbement deux seins de marbre nus. 12
155 Lorsque l'homme est aux champs, la femme reste seule. 12
N'importe, entrez ! passants, le lard est sur l'étal, 12
Mangez ! Et l'enfant joue, et dans un coin l'aïeule 12
Raccommode un vieux cistre aux cordes de métal. 12
Quelques-uns sont bergers dans les grands terrains vagues, 12
160 Champs que les bataillons ont légués aux troupeaux, 12
Mer de plaines ayant les collines pour vagues, 12
Où César a laissé l'ombre de ses drapeaux. 12
Là passent des bœufs roux qui sonnent de la cloche, 12
Avertissant l'oiseau de leur captivité ; 12
165 L'homme y féconde un sol plus âpre que la roche, 12
Et de cette misère extrait de la fierté. 12
L'égyptienne y rôde et suspend en guirlandes 12
Sur sa robe en lambeaux les bleuets du sillon ; 12
La fleur s'offre aux gypsis errantes dans ces landes, 12
170 Car, fille du fumier, elle est sœur du haillon. 12
Là, tout est rude ; août flamboie et janvier gèle ; 12
Le zingaro regarde, en venant boire aux puits, 12
Les fonds mouillés que font les seaux sur la margelle, 12
Tout cercle étant la forme effrayante des nuits. 12
175 Là, dans les grès hideux, l'ermite fait sa grotte. 12
Lieux tristes ! le boucher y vient trois fois par an ; 12
Le grelot des moutons y semble la marotte 12
Dont l'animal, fou sombre, amuse Dieu tyran. 12
Peu d'herbe ; les brebis paissent exténuées ; 12
180 Le pâtre a tout l'hiver sur son toit de roseaux 12
Le bouleversement farouche des nuées 12
Quand les hydres de pluie ouvrent leurs noirs naseaux. 12
Ces hommes sont vaillants. Âmes de candeur pleines, 12
Leur regard est souvent fauve, jamais moqueur ; 12
185 Rien ne gêne le souffle immense dans les plaines ; 12
La liberté du vent leur passe dans le cœur. 12
Leurs filles qui s'en vont laver aux cressonnières, 12
Plongent leur jambe rose au courant des ruisseaux ; 12
On ne sait, en entrant dans leurs maisons-tanières, 12
190 Si l'on voit des enfants ou bien des lionceaux. 12
Voisins du bon proscrit, ils labourent, ils sèment, 12
A l'ombre de la tour du preux Campéador ; 12
Contents de leur ciel bleu, pauvres, libres, ils aiment 12
Le Cid plus que le roi, le soleil plus que l'or. 12
195 Ils récoltent au bas des monts, comme en Provence, 12
Du vin qu'ils font vieillir dans des outres de peau ; 12
Le fisc, quand il leur fait payer leur redevance, 12
Leur fait l'effet du roi qui leur tend son chapeau. 12
Les rayons du grand Cid sur leurs toits se répandent ; 12
200 Il est l'auguste ami du chaume et du grabat ; 12
Car avec les héros les laboureurs s'entendent ; 12
L'épée a sa moisson, le soc a son combat ; 12
La charrue est de fer comme les pertuisanes ; 12
Les victoires, sortant du champ et du hallier, 12
205 Parlent aux campagnards étant des paysannes, 12
Et font le peuple avec la gloire familier. 12
Ils content que parfois ce grand Cid les arrête, 12
Les fait entrer chez lui, les nomme par leur nom, 12
Et que, lorsqu'à l'étable ils attachent leur bête, 12
210 Babieça n'est pas hautaine pour l'ânon. 12
Le barbier du hameau le plus proche raconte 12
Que parfois chez lui vient le Cid paisible et franc, 12
Et, vrai ! qu'il s'assied là sur l'escabeau, ce comte 12
Et ce preux qui serait, pour un trône, trop grand. 12
215 Le barbier rase bien le héros, quoiqu'il tremble ; 12
Puis, une loque est là pour tous ceux qui viendront ; 12
Le Cid prend ce haillon, torchon du peuple, et semble 12
Essuyer le regard des princes sur son front. 12
Comment serait-il fier puisqu'il a tant de gloire ? 12
220 Les filles dans leur cœur aiment cet Amadis ; 12
La main blanche souvent jalouse la main noire 12
Qui serre ce poing fort, plein de foudres jadis. 12
Ils se disent, causant, quand les nuits sont tombées, 12
Que cet homme si doux, dans des temps plus hardis, 12
225 Fut terrible, et, géant, faisait des enjambées 12
Des tours de Pampelune aux clochers de Cadix. 12
Il n'est pas un d'entre eux qui ne soit prêt à suivre 12
Partout ce Ruy Diaz comme un céleste esprit, 12
En mer, sur terre, au bruit des trompettes de cuivre, 12
230 Malgré le groupe blond des enfants qui sourit. 12
Tels sont ces laboureurs. Pour défendre l'Espagne, 12
Ces rustres au besoin font plus que des infants ; 12
Ils ont des chariots criant dans la campagne, 12
Et sont trop dédaigneux pour être triomphants. 12
235 Ils cultivent les blés où chantent les cigales ; 12
Pélage lui jadis les voyait accourir, 12
Et jamais ne trouva leurs âmes inégales 12
Au danger, quel qu'il fût, quand il fallait mourir. 12
V
Ruy Diaz de Bivar est leur plus belle gerbe. 12
240 Dans un beau train de guerre et de chevaux fougueux, 12
Don Santos traversa leurs villages, superbe, 12
Avec le bruit d'un roi qui passe chez des gueux. 12
On ne le suivit point comme on fait dans les villes ; 12
Nul ne le harangua, ces hommes aux pieds nus 12
245 Ayant la nuque dure aux saluts inutiles 12
Et se dérangeant peu pour des rois inconnus. 12
— Je suis l'ami du roi, disait-il avec gloire ; 12
Et nul ne s'inclinait que le corrégidor ; 12
Le lendemain, ayant grand'soif et voulant boire, 12
250 Il dit : — Je suis l'ami du Cid Campéador. 12
Don Santos traversa la plaine vaste et rude, 12
Et l'on voyait au fond la tour du fier banni ; 12
C'est là qu'était le Cid. Le ciel, la solitude, 12
Et l'ombre, environnaient sa grandeur d'infini. 12
255 Quand Santos arriva, Ruy, qui sortait de table, 12
Était dans l'écurie avec Babieça ; 12
Et Santos apparut sur le seuil de l'étable ; 12
Ruy ne recula point, et le roi s'avança. 12
La jument, grasse alors comme un cheval de moine, 12
260 Regardait son seigneur d'un regard presque humain ; 12
Et le bon Cid, prenant dans l'auge un peu d'avoine, 12
La lui faisait manger dans le creux de sa main. 12
VI
Le roi Santos parla de sa voix la plus haute : 12
— « Cid, je viens vous chercher. Nous vous honorons tous. 12
265 Vous avez une épine au talon, je vous l'ôte. 12
Voici pourquoi le roi n'est pas content de vous : 12
« Votre allure est chez lui si fière et si guerrière, 12
Que, tout roi qu'est le roi, son altesse a souvent 12
L'air de vous annoncer quand vous marchez derrière, 12
270 Et de vous suivre, ô Cid, quand vous marchez devant. 12
« Vous regardez fort mal toute la servidumbre. 12
Cid, vous êtes Bivar, c'est un noble blason ; 12
Mais le roi n'aime pas que quelqu'un fasse une ombre 12
Plus grande que la sienne au mur de sa maison. 12
275 « Don Ruy, chacun se plaint : — Le Cid est dans la nue ; 12
Du sceptre à son épée il déplace l'effroi ; 12
Ce sujet-là se tient trop droit ; il diminue 12
L'utile tremblement qu'on doit avoir du roi. — 12
« Vous n'êtes qu'à peu près le serviteur d'Alphonse ; 12
280 Quand le roi brise Arcos, vous sauvez Ordoñez ; 12
Vous retirez l'épée avant qu'elle s'enfonce ; 12
Le roi dit : Frappe. Alors, vous, Cid, vous pardonnez. 12
« Qui s'arrête en chemin sert à demi son maître ; 12
Jamais d'un vain scrupule un preux ne se troubla ; 12
285 La moitié d'un ami, c'est la moitié d'un traître ; 12
Et ce n'est pas pour vous, Cid, que je dis cela. 12
« Enfin, et j'y reviens, vous êtes trop superbe ; 12
Le roi jeta sur vous l'exil comme un rideau ; 12
Rayon d'astre, soyez moins lourd pour lui, brin d'herbe, 12
290 Ce qui d'abord est gloire à la fin est fardeau. 12
« Vous êtes au-dessus de tous, et cela gêne ; 12
Quiconque veut briller vous sent comme un affront, 12
Tant Valence, Graos, Givrez et Carthagène 12
Font d'éblouissement autour de votre front. 12
295 « Tel mot, qui par moments tombe de vous, fatigue 12
Son altesse à la cour, à la ville, au Prado ; 12
Le creusement n'est pas moins importun, Rodrigue, 12
De la goutte d'orgueil que de la goutte d'eau. 12
« Je ne dis pas ceci pour vous, Cid redoutable. 12
300 Vous êtes sans orgueil, étant de bonne foi ; 12
Si j'étais empereur, vous seriez connétable ; 12
Mais seulement tâchez de faire cas du roi. 12
« Quand vous lui rapportez, vainqueur, quelque province, 12
Le roi trouve, et ceci de nous tous est compris, 12
305 Que jamais un vassal n'a salué son prince, 12
Cid, avec un respect plus semblable au mépris. 12
« Votre bouche en parlant sourit avec tristesse ; 12
On sent que le roi peut avoir Burgos, Madrid, 12
Tuy, Badajoz, Léon, soit ; mais que son altesse 12
310 N'aura jamais le coin de la lèvre du Cid. 12
« Le vassal n'a pas droit de dédain sur le maître. 12
On vous tire d'exil ; mais, Cid, écoutez-moi, 12
Il faut dorénavant qu'il vous convienne d'être 12
Aussi grand devant Dieu, moins haut devant le roi. 12
315 « Pour apaiser l'humeur du roi, fort légitime, 12
Il suffit désormais que le roi, comme il sied, 12
Sente qu'en lui parlant vous avez de l'estime. » 12
Babieça frappait sa litière du pied, 12
Les chiens tiraient leur chaîne et grondaient à la porte, 12
320 Et le Cid répondait au roi Santos le Roux : 12
— Sire, il faudrait d'abord que vous fissiez en sorte 12
Que j'eusse de l'estime en vous parlant à vous. 12
logo du CRISCO logo de l'université