Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1676
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
CXVIII
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Dans les leçons qu'il donne aux esprits comme aux yeux 12
L'abîme, dont la tombe est la blême fenêtre, 12
N'est pas exact, précis et clair ; quoique peut-être 12
5 Il en sache aussi long qu'Ulysse Aldrovandus 12
Par qui veut écouter les cieux, sont entendus ; 12
Mais croire qu'ils vont tout dévoiler, c'est un rêve. 12
Je n'imagine pas que le mystère lève 12
Son capuchon sinistre au fond de l'infini 12
10 Comme un religieux du Corpus domini ; 12
Je doute que l'Etna, sous sa crête fumante, 12
Prêche, expose, débatte, examine, argumente 12
Je doute que la mer où planent les autans ; 12
Mêle sous son écume à ses bleus habitants, 12
15 Et roule, et dans le tas de ses hydres confonde 12
Une théologie errânt dans l'eau profonde ; 12
Sans doute l'Océan, miroir du firmament, 12
Est un grand syllogisme, âpre, amer, écumant ; 12
Chaque fois qu'il endort son flot glauque, il apaise 12
20 De l'analyse en lutte avec de la synthèse, 12
Mais son Verbe n'est pas le jargon d'un pédant. 12
Son gouffre, de clarté farouche débordant, 12
Jette de la logique à sa grève déserte, 12
Mais sans finir par donc ni commencer par certe. 12
25 L'ombre est un grand amour, l'abîme est un grand lit ; 12
L'Être emplit l'étendue et l'emplit et l'emplit ; 12
Sans qu'on sache comment, les globes se soutiennent ; 12
Au même point des cieux les planètes reviennent, 12
Les mondes, monstrueux et beaux, uns et divers, 12
30 Tous les objets créés, bêtes, monts, rameaux verts, 12
L'homme par la pensée et la fleur par la tige 12
Entrent dans le miracle et sortent du prodige ; 12
L'air frémit, l'arbre croît, l'oiseau chante, l'eau fuit, 12
Et des lumières vont jusqu'au fond de la nuit ; 12
35 L'illusion serait étrange, que t'en semble, 12
De voir dans le splendide et redoutable ensemble, 12
Dans le flot de la vie et dans le noir torrent 12
Un docteur de Sorbonne énorme pérorant. 12
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