Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1674
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
CXVI
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Hé, prends ton microscope, imbécile ! et frémis. 12
Tout est le même abîme avec les mêmes ondes. 12
L'infiniment 'petit contient les mêmes mondes 12
5 Que l'infiniment grand. Que vas-tu'contempler 12
Le ciel noir quand il plaît aux nuits de l'étoiler, 12
Le groupe constellé, le globe, la planète, 12
Orion ; Sirius que grossit ta lunette ; 12
L'anneau de celui-là, les lunes de ceux-ci ? 12
10 La fourmi sous sa patte a des sphères aussi ; 12
L'intervalle que font les ailes d'une mouche 12
Contient tout un azur où se lève et se couche 12
Un soleil invisible, éblouissant au loin — 12
De profonds univers qui n'ont pas de témoin : 12
15 Montez ou descendez ; tout s'ouvre sans rien clore ; 12
On trouve au fond d'un puits un autre puits encore ; 12
La limite n'est pas dans la nature ; elle est 12
Dans l'instrument grossier, dans l'organe incomplet ; 12
Votre prunelle est moins un moyen qu'un obstacle ; 12
20 Tu n'as qu'à grandir l'œil pour grandir le spectacle ; 12
Le petit, c'est l'immense. En ta main, ô passant, 12
Prends la mer bleue ainsi qu'un verre grossissant, 12
Et, courbé sur la vie, abîme dont la lampe 12
Est un soleil qui brille ou bien un ver qui rampe, 12
25 A travers l'océan regarde un puceron ; 12
Tu pâliras ainsi qu'Amos, Élie, Aaron, 12
Devant les visions de l'incompréhensible, 12
Et tu ne sauras pas si cet être impossible, 12
Formidable, aperçu par toi confusément, 12
30 N'est pas le chaos même, horrible, en mouvement 12
Dans l'éther qu'il obstrue avec sa forme immonde, 12
Et si tu vois un monstre ou si tu vois un monde ! 12
Oui, l'aube le matin emplit ton corridor 12
Des constellations de la poussière d'or ; 12
35 La toile d'araignée en ses mailles nocturnes 12
A des gouffres où vont et viennent des Saturnes ; 12
Une création passe entre chaque fil ; 12
Tout homme, le dernier, le moindre, le plus vil, 12
L'esclave, le forçat de Brest, le juif qui rogne 12
40 Un liard, le voleur de grand chemin, l'ivrogne, 12
Le grec qui triche au jeu dans un bouge aux eaux d'Aix, 12
Broie un astre en fermant son pouce et son index. 12
Il ne faut pas que l'âme humaine s'assoupisse 12
Au bord de l'atome, ombre, abîme, précipice ; 12
45 Homme, il n'est pas d'esprit qui, s'il se penche un peu 12
En bas, sur le petit, l'autre côté de Dieu, 12
Ne frissonne devant l'élargissement sombre 12
Du néant, du caché, de l'espace, du nombre ! 12
Il suffit que, demain, un ouvrier savant, 12
50 Inventant un cristal plus clair et plus vivant, 12
Pose sur l'inconnu des lentilles puissantes, 12
Pour que, si ton regard s'en approche, tu sentes 12
Le vertige du trou d'une aiguille, et la peur 12
De tomber dans ton souffle, effrayante vapeur ! 12
55 Le point n'a pas de fond. Homme, l'inaccessible 12
Est dans le grain de sable, à jamais divisible ; 12
L'imperceptible est fait de la même grandeur 12
Que les cieux qui n'ont pas encore eu de sondeur. 12
Un pou dè l'infini contient en lui la somme ; 12
60 Tu serais Dieu le jour où tu pourrais, toi l'homme, 12
Voir le commencement et la fin d'un ciron. 12
Pendant qu'un maringouin sonne de son clairon, 12
Homme, des millions de mondes peuvent naître 12
Et mourir ; à l'instant où je parle peut-être, 12
65 Des peuples ignorés, vague fourmillement 12
Qu'un infusoire couvre ainsi qu'un firmament, 12
Regardent s'étoiler le ventre d'un volvoce ; 12
Sourds, obscurs, adorant quelque idole féroce, 12
Noirs, enfouis dans l'être, ensevelis dessous, 12
70 Invisibles, perdus ; et peut-être est-ce vous ! 12
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