Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1631
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
LXXIII
Quand je veux savoir vos douleurs secrètes, 10
Vous dites, ô belle aux yeux adorés : 10
— « Je ne puis sortir des lieux où vous êtes ; 10
Vous êtes mon maître ! » — Et puis vous pleurez. 10
5 Et vous reprenez : « Quoi ! sans récompense 10
Mes jours près de vous s'usent à souffrir ! 10
Je veux vous quitter, mais, lorsque j'y pense, 10
Je ne sais pourquoi je me sens mourir ! » — 10
Le même esclavage, ô belle, est le nôtre ; 10
10 De vous jusqu'à moi la chaîne revient ; 10
Nous ne sommes pas libres l'un ni l'autre ; 10
Je vous tiens ; madame, et le sort me tient. 10
Vous êtes à bord, et je suis, la barque : 10
Oui, comprends-moi bien, mes discours sont vrais, 10
15 Cet homme qui t'aime, esclave et monarque, 10
Est un dur navire aux sombres agrès. 10
Il emporte au loin votre cœur, votre âme ; 10
Il est' emporté par le gouffre amer ! 10
Vous ne pouvez pas en sortir, madame, 10
20 Et lui ne peut pas' sortir de la mer. 10
Il subit l'autan, le nord, l'hiver, l'onde ; 10
Souvent sur l'écueil on le croit perdu 10
L'eau s'en joue, et quand la tempête gronde, 10
Dans l'oragè noir il passe éperdu ! 10
25 Il lutte ; les vents n'épargnent-personne. 10
En se rappelant maint naufrage ancien, 10
S'ur les vastes mers il flotte, il frissonne. 10
Il est votre maître et n'ést : pas le sien. 10
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