Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1628
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
LXX
I
C'était la première soirée 8
Du mois d'avril. 4
Je m'en souviens, mon adorée. 8
T'en souvient-il ? 4
5 Nous errions dans la ville immense, 8
Tous deux, sans bruit, 4
À l'heure où le repos commence 8
Avec la nuit ! 4
Heure calme, charmante, austère, 8
10 Où le soir naît ! 4
Dans cet ineffable mystère 8
Tout rayonnait, 4
Tout ! l'amour dans tes yeux sans voile, 8
Fiers, ingénus ! 4
15 Aux vitres mainte pauvre étoile, 8
Au ciel Vénus ! 4
Notre-Dame, parmi les dômes 8
Des vieux faubourgs, 4
Dressait comme deux grands fantômes 8
20 Ses grandes tours. 4
La Seine, découpant les ombres 8
En angles noirs, 4
Faisait luire sous les ponts sombres 8
De clairs miroirs. 4
25 L'œil voyait sur la plage amie 8
Briller ses eaux 4
Comme une couleuvre endormie 8
Dans les roseaux. 4
Et les passants, le long des grèves 8
30 Où Fonde fuit, 4
Étaient vagues comme les rêves 8
Qu'on a la nuit ! 4
Je te disais : — « Clartés bénies, 8
Bruits lents et doux, 4
35 Dieu met toutes les harmonies 8
Autour de nous ! 4
Aube qui luit, soir qui flamboie, 8
Tout a son tour ; 4
Et j'ai l'âme pleine de joie, 8
40 O mon amour ! 4
Que m'importe que la nuit tombe, 8
Et rende, ô Dieu ! 4
Semblable au plafond d'une tombe 8
Le beau ciel bleu ! 4
45 Que m'importe que Paris dorme, 8
Ivre d'oubli, 4
Dans la brume épaisse et sans forme 8
Enseveli ! 4
Que m'importe, aux heures nocturnes 8
50 Où nous errons, 4
Les ombres qui versent leurs urnes 8
ur tous les fronts, 4
Et, noyant de' leurs plis funèbres 8
L'âme et le corps, ' 4
55 Font les' vivants dans les ténèbres 8
Pareils aux morts ! 4
Moi, lorsque tout subit l'empire 8
Du noir sommeil, 4
J'ai ton regard, j'ai ton sourire, 8
60 J'ai le soleil ! » 4
Je te parlais, ma bien-aimée ; 8
O doux instants ! 4
Ta, main pressait ma main charmée. 8
Puis, bien longtemps, 4
65 Nous nous regardions pleins de flamme, 8
Silencieux, 4
Et l'âme répondait à l'âme, 8
Les yeux aux yeux ! 4
Sous tes cils une larmeobscure 8
70 Brillait parfois ; 4
Puis ta voix parlait, tendre et pure, 8
Après ma voix, 4
Comme on entend dans la coupole 8
Un double écho ; 4
75 Comme après un ,oiseau s'envole 8
Un autre oiseau. 4
Tu disais : « Je suis calme et fière, 8
Je t'aime ! oui ! » 4
Et je rêvais à ta lumière 8
80 Tout, ébloui ! 4
Oh ! ce fut une heure sacrée, 8
T'en souvient-il ? 4
Que cette première soirée 8
Du mois d'avril ! 4
85 Tout en disant toutes les choses, 8
Tous les discours 4
Qu'on dit dans lasaison des, roses 8
Et des amours, 4
Nous allions, contemplant dans l'onde 8
90 Et dans l'azur 4
Cette lune qui jette au monde 8
Son rayon pur, 4
Et qui, d'en haut, sereine comme 8
Un front dormant, 4
95 Regarde le bonheur de l'homme 8
Si doucement ! 4
II
Tu disais : « Ô soleils sans nombre ! 8
Nuit ! ciel en feu ! 4
Dans vos clartés et dans votre ombre, 8
100 Tout monte à Dieu. 4
Rien ne se perd ! Cendre, étincelle, 8
Ramier, vautour, 4
Le moindre battement d'une aile 8
Ou d'un amour, 4
105 Le chant du nid qui sous la feuille 8
Va s'assoupir, 4
Du cœur pensif qui se recueille 8
Chaque soupir, 4
Les rêves de l'âme enivrée, 8
110 Du front qui bout ; 4
La nature immense et sacrée 8
Retrouve tout ! 4
Car tout suit sa loi grave et douce ! 8
Tout à la fois ! 4
115 L'herbe verdit, la branche pousse 8
Au fond des bois, 4
La nuit endort les champs, la foule, 8
Les mers, les monts, 4
Le vent fuit, l'astre luit, l'eau coule, 8
120 Et nous aimons ! 4
Nous aimons parce que nous sommes ! 8
C'est notre vœu ! 4
Aimer, c'est vivre loin des hommes 8
Et près de Dieu ! 4
125 C'est s'ouvrir à la clarté pure, 8
Comme la fleur ! 4
C'est sentir toute la nature 8
Vivre en son cœur ! 4
C'est accomplir le code auguste 8
130 D'Éden naissant 4
Que suivait devant le ciel juste 8
L'homme innocent ! 4
Soyons heureux, ô toi que j'aime ! 8
Bravons le sort ! 4
135 Car seuls à cette heure suprême, 8
Seuls quand tout dort ; 4
Dédaignant d'un monde où tout tremble 8
Les bonheurs vains, 4
Sûrs d'être en paix avec l'ensemble 8
140 Des faits divins, 4
Comme en un temple où l'ombre rampe 8
Devant nos pas, 4
On suit la lueur d'une lampe 8
Qu'on ne voit pas, 4
145 Nous sentons sur notre âme fière, 8
Tout en rêvant, 4
L'œil sans sommeil, l'œil sans paupière 8
Du Dieu vivant ! 4
Va, dans mon cœur rien ne chancelle. — 8
150 Sois mon époux. 4
La conscience universelle 8
Est avec nous ! 4
Donnons-nous à l'amour ! — Écoute, 8
Soupirs, concerts, 4
155 Pervenche du bord de la route, 8
Perle des mers, 4
La mousse en avril épaissie 8
Des bois dormants, 4
Les sourires, la poésie, 8
160 Les pleurs charmants, 4
Le bleu du ciel, le vert de l'onde, 8
L'éclat du jour, 4
Les belles choses de ce monde 8
Sont à l'amour ! 4
165 C'est l'amour qui tient toute chose, 8
Et fait d'un mot 4
Épanouir ici la rose, 8
L'astre là-haut. 4
C'est lui qui veut qu'on ne commande 8
170 Qu'à deux genoux ! 4
C'est lui qui fait la femme grande 8
Et l'homme doux ! » 4
Ainsi tu parlais, et sans doute, 8
Dieu t'inspirait ; 4
175 Car j'écoutais comme on écoute 8
Dans la forêt, 4
Quand Dieu se mêle à la nature, 8
Au bruit des vents, 4
Quand il parle dans le murmure 8
180 Des bois vivants ! 4
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