Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1610
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
LII
Babel est tout au fond du paysage horrible. 12
Si l'épouvante était une chose visible, 12
Elle ressemblerait à ce faîte inouï. 12
Sommet démesuré dans le ciel enfoui ! 12
5 Ce n'est pas une tour, c'est le monstre édifice. 12
Sans pouvoir l'éclairer, le jour sur elle glisse. 12
Des ouvertures d'ombre engouffrent dans ses flancs 12
Tous les vents de l'espace orageux et sifflants ; 12
Il en sort on ne sait quelles sombres huées. 12
10 Sa spirale difforme et mêlée aux nuées 12
Peut-être y recommence et peut-être y finit. 12
L'ouragan a rongé ses porches de granit ; 12
Son mur est crevassé du haut en bas ; la brèche 12
Est comme un trou que fait dans la terre une bêche ; 12
15 Ses rampes ont des blocs de roches pour pavés ; 12
Sur ses escarpements lugubres sont gravés 12
Des maques, des trépieds, des gnomons, des clepsydres ; 12
Ses antres, assez grands pour contenir des hydres, 12
Semblent de loin la fente où se cache l'aspic ; 12
20 Sur les reliefs brumeux de ses parois à pic 12
Des forêts ont poussé comme des touffes d'herbes ; 12
Ses faisceaux d'arcs rompus sont pareils à des gerbes ; 12
La pierre a la pâleur sinistre du linceul. 12
Babel voulait monter jusqu'au zénith ; Dieu seul 12
25 A son ascension pouvait mettre une borne. 12
On frémit d'entrevoir son intérieur morne ; 12
Il est si noir qu'un astre y serait à tâtons ; 12
Des chutes de muraille ont entre les frontons 12
Creusé des profondeurs qui font inaccessibles 12
30 D'affreux colosses ; pris par la foudre pour cibles. 12
Le seuil porte deux tours qui sont deux chandeliers. 12
Ce spectre est loin. Un dôme ; un chaos d'escaliers, 12
Des terrasses, des ponts, prennent vaguement forme 12
Dans ce blêmissement d'architecture énorme 12
35 Montant confusément derrière l'horizon. 12
Et comme on voit, au bord du toit d'une maison 12
S'abattre, à la saison des fleurs, à tire-d'aile, 12
Les pigeons au pied rose ou la vive hirondelle, 12
Sur son entablement funèbre aux trous profonds, 12
40 Viennent du fond du ciel se poser les griffons, 12
Les hippogriffes noirs, les sphinx volants des rêves 12
Dont les plumes sans plis ressemblent à des glaives, 12
Le dragon, sous son, ventre étouffant des éclairs, 12
L'aigle d'apocalypse, et les larves des airs, 12
45 Et les blancs séraphins, qu'une aile immense voile, 12
Farouches, arrivant fatigués d'une étoile. 12
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