Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1596
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
XXXVIII
Dans ces heures où Dieu donne ou reprend la flamme, 12
Où le soleil revient ou s'en va comme une âme, 12
Où tout est solennel, 6
Où pour se transformer l'ordre éternel s'arrête, 12
5 Où le jour et la nuit luttent sur notre tête 12
A qui prendra le ciel ; 6
Le monde est en suspens. Quiconque pense ou rêve 12
Sait que l'heure où tout change est l'heure où tout s'achève, 12
Que l'espoir est menteur ; 6
10 Et l'esprit qui se penche alors sur la nature 12
Y sent de toutes parts ployer la créature 12
Devant le créateur ! 6
Car on touche à la crise où tout peut se suspendre, 12
L'essieu peut se briser, le ressort se détendre, 12
15 Le flambeau s'éclipser. 6
Dans tous les cœurs se dresse un spectre affreux : PEUT-ÊTRE ! 12
Le souffle qui passait et qui faisait tout naître 12
Peut ne plus repasser ! 6
Car l'éternel concert n'en est qu'à son prélude. 12
20 Celui qui fait la loi la réforme ou l'élude. 12
Des cieux il est l'auteur. 6
Et sait-on ce que Dieu, qui trompe notre *étude, 12
Dans sa toute-puissance et dans sa solitude, 12
Fait à cette hauteur ? 6
25 Qui nous répond de toi, Seigneur ? Qui sait encore 12
Si ton souffle un matin n'éteindra pas l'aurore, 12
À l'heure de venir ? 6
Le soleil est à Dieu. La terre ignore et rampe. 12
Qui sait si le travail qu'il fait à cette lampe 12
30 N'est pas près de finir ? 6
Quand il aura fini Dieu l'éteindra sans doute. 12
Que ferons-nous alors dans l'ombre et dans le doute 12
Heurtant tous nos essieux ? 6
Qu'est-ce que tous ces chais qu'on appelle des mondes, 12
35 Et qui portent chacun tant de choses profondes 12
Deviendront dans les cieux ? 6
Aussi quand le soleil s'est éteint sur les cimes ; 12
Quand l'obscurité rampe au penchant des abîmes 12
Et du fond monte au bord ; 6
40 Quand dans les lieux profonds la profondeur redouble ; 12
Quand le rêve au contour monstrueux, à l'œil trouble, 12
De toute chose sort ; 6
Quand les ombres de tout par les bords se rencontrent ; 12
Lorsqu'un réseau de brume où cent formes se montrent, 12
45 Flotte au vent dénoué ; 6
Quand le ciel où la nue à plis sombres se traîne 12
Laisse voir par endroits un peu de jour à peine 12
Comme un manteau troué ; 6
Alors un mouvement se fait dans la nature ; 12
50 La nuit vient ; gouffre sombre où l'être s'aventure 12
De guides dépourvu ! 6
Car il semble qu'à l'heure où tout dort et repose 12
Toujours la nuit peut faire au monde quelque chose 12
D'horrible et d'imprévu ! 6
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