Métrique en Ligne
HUG_26/HUG1542
Victor HUGO
LES ANNÉES FUNESTES
1898
XLVII
EN 1869
Vous me dites :
— Pourquoi cet éternel courroux ?
Le ciel n'est pas autant en colère que vous. 12
Est-ce que ce forfait qui vous indigne, empêche 12
Le soleil de mûrir le raisin et la pêche 12
5 Et de verser la vie et la lumière aux bois 12
Pleins d'éblouissements, de parfums et de voix ? 12
Est-ce que, renonçant à la molle verdure, 12
Depuis vingt ans bientôt que cet empire dure, 12
Les arbres ont cessé de croître un seul instant ? 12
10 Est-ce qu'en son labeur le chêne haletant, 12
Las d'ajouter sans fin des branches à des branches, 12
S'est arrêté, disant : Ramiers, colombes blanches, 12
Bouvreuils, allez-vous-en, je ne veux plus de vous, 12
J'ai fini ! Quel est donc, sous le ciel calme et doux, 12
15 Le lilas qui s'abstient, le hêtre qui retire 12
Son murmure à Virgile et son ombre à Tityre ? 12
Quel frêne a pris parti pour vous ? quel peuplier 12
S'est dispensé de vivre et de multiplier ? 12
Contre Aman Bonaparte et pour vous Mardochée, 12
20 Quelle branche de saule ou d'ormeau s'est fâchée ? 12
Quel marronnier, sachant que l'on ne doit pas voir 12
Les nids tremblants, renonce à faire son devoir, 12
Et refuse aux oiseaux d'épaissir son feuillage ? 12
Tous les ans, aussi beau qu'Achille et que Pélage, 12
25 Une flamme à la main, Mai, ce libérateur, 12
Apparaît, cuirassé d'azur, sur la hauteur, 12
Rit, chasse ce tyran, l'hiver aux yeux moroses, 12
Redore l'aube, et met hors de prison les roses, 12
Et tire le verrou glacé qui retenait 12
30 Captifs l'acacia, la ronce et le genêt, 12
Et le fourmillement des feuilles recommence. 12
Qu'est-ce que Morny fait à la Dryade immense ? 12
Est-ce qu'un seul bouton d'églantier s'est flétri 12
Parce que Rouher passe appuyé sur Piétri ? 12
35 L'épanouissement universel prospère ; 12
Le tilleul qui n'est pas troublé d'une vipère, 12
Ignore Mérimée, et couvre les sentiers 12
D'un mystère où l'amour s'ajoute volontiers ; 12
Depuis vingt ans, toujours de plus en plus charmante, 12
40 La forêt pousse, et verte, et vieille, et jeune, augmente 12
Son frais tumulte, au bruit d'une cité pareil. — 12
Je suis juste, et c'est vrai ; je constate, ô soleil, 12
Sous ce ciel où, superbe et tranquille, tu montes, 12
Le lent grandissement des arbres, et des hontes. 12
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