Métrique en Ligne
HUG_26/HUG1526
Victor HUGO
LES ANNÉES FUNESTES
1898
XXXI
L'EMPEREUR À COMPIÈGNE
Cet homme est dans les fleurs ; il a, s'il fuit la ville, 12
Saint-Cloud, Biarritz, 4
Compiègne, autant d'azur que l'aigle, autant d'idylle 12
Que Lycoris ; 4
5 Autour de lui les dieux rayonnent dans des marbres ; 12
Les prés, les blés, 4
Les champs brillent au loin, et les paons sous les arbres 12
Sont étoilés ; 4
En voyant ce front vil qu'aucuns remords n'émeuvent, 12
10 Cet œil vitreux ; 4
Que pensent les lauriers ? Qu'est-ce que les lys peuvent 12
Se dire entre eux ? 4
On ne s'explique pas pourquoi le myrte encense 12
L'homme dé sang, 4
15 Et comment à subir une telle présence 12
Avril consent. 4
Les bois respectueux ont l'air de dire : sire ! 12
À ce larron ; 4
Ils ne refusent rien au maître, et s'il désire 12
20 Un liseron ; 4
Un iris, un bleuet candide, une pervenche, 12
Ils les lui font ; 4
Est-ce que la nature ignore là revanche, 12
O ciel profond ! 4
25 Est-ce qu'il est permis de se donner pour tâche 12
Le mal, l'horreur, 4
D'être un fourbe, un escroc, un gueux, un drôle, un lâche, 12
Un empereur, 4
De jeter sur Paris la mort fauve et hagarde, 12
30 Le faux serment, 4
L'effroi, sans que personne ait l'air d'y prendre garde 12
Au firmament, 4
Sans qu'un puissant témoin fasse aux étoiles signe 12
De moins briller, 4
35 Au mois de mai d'avoir moins de parfum, au cygne 12
De s'envoler, 4
Sans qu'on entende au loin gronder le flot sonore, 12
Le vent huer, 4
Et sans qu'on voie autour du coupable l'aurore 12
40 Diminuer ; 4
Sans qu'au nom de l'honneur, de l'auguste justice, 12
Des saintes lois, 4
Et du grand ciel, la ronce indignée avertisse 12
L'ombre des bois, 4
45 Et sans que le printemps distingue entre un faussaire, 12
D'où sont venus 4
Tous nos pleurs, tous nos maux, tous nos deuils, et Glycère, 12
Nymphe aux pieds nus ! 4
Il a parfaitement oublié tous ses crimes, 12
50 Le sang versé, 4
Son serment, son honneur, son âme, et les abîmes 12
Du noir passé ; 4
Il a saisi le peuple et la loi dans sa serre, 12
Joué son jeu, 4
55 Et fait la quantité de forfaits nécessaire 12
Pour être un dieu ; 4
Les bonzes, les cadis, sous leur robe de femme, 12
Le trouvent grand ; 4
C'est tout au plus s'il sait combien il est infâme, 12
60 Et s'il comprend ; 4
Il est l'idole informe et vague qu'on encense ; 12
Ses yeux font peur ; 4
On devine qu'il est plein de toute-puissance 12
A sa stupeur ; 4
65 Car c'est bien surprenant d'être un tel misérable, 12
Et que les rois 4
Soient petits devant vous plus qu'au pied de l'érable 12
L'herbe des bois. 4
Ah ! quand un homme a fait tout ce qu'a fait cet homme, 12
70 Quand il est là, 4
Lui qui livra ta Rome, ô Caton, à la Rome 12
De Loyola, 4
Lui qui fit faire un pas monstrueux en arrière 12
À la raison, 4
75 Lui que guette la Prusse, espionne et guerrière, 12
À l'horizon, 4
Lui qui, mettant un vote imbécile à la place 12
Des droits trahis, 4
Règne contre le peuple et par la populace 12
80 Sur mon pays, 4
Lui par qui, dans un jour de deuil, d'abîme et d'ombre, 12
Tout se perdit, 4
Il semble qu'il faudrait un rugissement sombre 12
Sur ce bandit ! 4
85 Il semble que les champs devraient être lugubres 12
Et mécontents, 4
Et qu'il devrait sortir des forêts insalubres 12
Un faux printemps ; 4
Eh bien, non ! mai l'accepte et floréal l'accueille, 12
90 Et ce pervers 4
Ne fait pas perdre un nid, une branche, une feuille 12
Aux buissons verts 4
Et l'entrée en enfer due à ce misérable, 12
C'est ce jardin, 4
95 Le lys, l'églantier, l'orme ; et le cèdre et l'érable ; 12
O lâche éden ! 4
Il est dans le printemps, il est dans la nature 12
Comme chez lui. 4
Jamais par une plus monstrueuse ouverture 12
100 Le mal n'a lui. 4
Le sort est vil ; de nous toujours, traître et fantasque, 12
Il s'est joué ; 4
Mais jamais jusqu'ici l'on n'avait vu ce masque 12
Si dénoué. 4
105 Et c'est l'étonnement des prophètes moroses, 12
De toi, martyr, 4
De toi, penseur, que tant de crime à tant de roses 12
Puisse aboutir. 4
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