Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1486
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
ANNEXES
VISIONS DE LYCÉENS
Quand on sort de rhétorique, 7
Du livre et de l'encrier, 7
On a l'âme chimérique 7
Et le cœur aventurier. 7
5 On a pour nid des murs bistres, 7
Des galetas fabuleux, 7
Que les rats ont faits sinistres, 7
Que l'illusion fait bleus. 7
On n'est pas très difficile 7
10 Aux divinités qu'on voit ; 7
Et les nymphes de Sicile 7
S'accoudent au bord du toit. 7
Puisqu'il faut que j'en convienne, 7
C'est vrai, souvent nous prenons 7
15 Dans le passage Vivienne 7
Des Margots pour des Junons. 7
Toute la mythologie 7
Vient becqueter nos taudis ; 7
Nous y faisons une orgie, 7
20 De ciels et de paradis. 7
Je rêve. Oui, la vie est sombre 7
Et charmante ; et des clins d'yeux 7
M'arrivent au fond de l'ombre 7
Qui m'ont mis au rang des dieux. 7
25 L'extase au cinquième habite, 7
L'amour fait multiplier 7
Les rêves du cénobite 7
Par le front de l'écolier. 7
Je suis naïf au point d'être 7
30 Par moments persuadé 7
Que Vénus, à sa fenêtre, 7
M'a fait signe à Saint-Mandé. 7
Mon œil sous ma boîte osseuse 7
Est à de tels songes prêt 7
35 Qu'à travers ma blanchisseuse 7
Phyllodoce m'apparaît. 7
Une chemisière aimante 7
Vint hier dans mon grenier ; 7
Elle portait, la charmante, 7
40 Des rayons dans son panier ; 7
Ravi de cette descente, 7
Je crus que je voyais choir 7
Hébé, toute frémissante 7
D'aurore, sur mon perchoir. 7
45 Comment peindre l'air de fête 7
De deux yeux presque innocents ? 7
Fraîche, elle avait sur la tête 7
Cette lumière, seize ans. 7
Et l'autre jour, plein d'Homère, 7
50 Je songeais je ne sais où 7
Je marchais dans la chimère, 7
Tout au bord, sans garde-fou ; 7
Une muse au front suprême 7
Passa dans mon horizon. 7
55 — C'est Calliope elle-même ! 7
Criai-je. C'était Suzon : 7
Je me risquai, dans l'échoppe 7
Dont un coffre est le sofa, 7
A chiffonner Calliope ; 7
60 Calliope me griffa. 7
La modiste est la sirène. 7
J'attire Anne à mon foyer, 7
Lui donnant des noms de reine 7
Afin de la tutoyer. 7
65 Ainsi je vis, l'œil en flammes, 7
Dans mes bouquins, loin du bruit, 7
étoilant toutes les femmes, 7
Confusément, dans la nuit. 7
Je les fais déesses toutes, 7
70 Et sur leurs chiffons je mets 7
La lueur des sombres voûtes 7
Ou l'éclair des bleus sommets. 7
Je vois parfois la tunique 7
S'ébaucher sous le torchon 7
75 Et la Diane ionique 7
Sous le madras de Fanchon. 7
Je m'éblouis, solitaire ; 7
Car il faut que nous usions 7
L'une après l'autre, sur terre, 7
80 Toutes les illusions. 7
Je guette et je me hasarde 7
A sonder d'un œil ardent 7
L'empyrée et la mansarde ; 7
Et je contemple ; et, pendant 7
85 Que rôde sur ma gouttière 7
Quelque gros chat moustachu, 7
Cypris met sa jarretière, 7
Pallas ôte son fichu. 7
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