Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1476
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
LA CORDE D'AIRAIN
XIX
LA QUESTION SOCIALE
Non, non, non. Ce n'est point par la ruse, vous dis-je, 12
Que vous aurez raison du gouffre et du prodige ; 12
Les ouragans ne sont en rien déconcertés 12
Par nos expédients et nos habiletés ; 12
5 Non, je ne pense pas que l'aquilon s'apaise 12
Par égard pour Blondin flottant dans son trapèze, 12
Ni qu'un homme d'état fasse peur à l'éclair. 12
À force de danser sur une corde en l'air ; 12
Le tonnerre n'est pas un chien hargneux qui boite 12
10 Et que nos coups de fouet font rentrer dans-sa boîte. 12
Jésus-Christ, tel qu'il est, dans saint-Luc et saint-Marc, 12
Voyait la politique autrement que Bismarck 12
Et voyait la justice autrement que Delangle ; 12
A l'homme qu'on assomme, à l'homme qu'on étrangle, 12
15 Il prodiguait les soins du bon samaritain ; 12
Si des vaincus tâchaient d'échapper au destin, 12
Son temple offrait l'asile à leur fuite tragique ; 12
Si bien qu'on l'aurait, certe, expulsé de Belgique. 12
Ô mer, à ton niveau fatal tu monteras. 12
20 Il n'est pas d'empereurs et pas de magistrats, 12
Il n'est pas de trident, gouffre, il n'est pas de conque, 12
Qui puissent à ton flot faire un effet quelconque ; 12
L'abîme est la demeure orageuse de Dieu ; 12
On ne calmera pas cet effrayant milieu 12
25 Quand même on enverrait des nymphes ingénues 12
Rire, et jusqu'au nombril s'y montrer toutes nues ; 12
Ce profond océan, le genre humain, connaît 12
L'instant où le jour meurt, l'heure où l'étoile naît ; 12
Il a sa loi, le flux et le reflux, l'espace, 12
30 Il voit le fond de l'ombre où Léviathan passe ; 12
Il croît sur une plage et sur l'autre il décroît ; 12
Son équateur bouillonne et ses pôles ont froid ; 12
Mais il n'écoute pas monsieur Rouher ; il reste 12
Le vaste flot, tantôt joyeux, tantôt funeste, 12
35 Âpre, énorme, impossible à dompter, y mît-on 12
Bonaparte en Neptune et Devienne en Triton. 12
Peuple, en ton chaos, noir parfois d'écume immonde, 12
Le douteur ne voit rien, le penseur trouve un monde. 12
Tu montes, tu descends, tu remontes ; tu n'as 12
40 Ni portes, ni verrous, ni clefs, ni cadenas ; 12
Tu vas dans l'infini, liberté formidable ! 12
Dieu te fait navigable et te laisse insondable ; 12
Le sceptique te jette en vain son fil à plomb ; 12
Mer fermée à Pyrrhon, tu t'ouvres à Colomb ! 12
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