Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1410
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
VII
III
CE QUE GEMMA PENSE D'EMMA
Que fait l'orfèvre ? Il achève 7
Quelque anneau mystérieux. 7
Sa boutique semble un rêve 7
Qu'emplissent de vagues yeux ; 7
5 L'opale est une prunelle, 7
La turquoise est un regard ; 7
La flamme tremble éternelle 7
Dans l'œil du rubis hagard. 7
L'émeraude en sa facette 7
10 Cache une ondine au front clair ; 7
La vicomtesse de Cette 7
Avait les yeux verts de mer. 7
Le diamant sous son voile 7
Rêve, des cieux ébloui ; 7
15 Il regarde tant l'étoile 7
Que l'étoile entre dans lui. 7
L'ambre est une larme austère ; 7
Le saphir au chaste feu 7
Est devenu bleu sous terre 7
20 Tant il a contemplé Dieu ! 7
Une femme chez l'orfèvre 7
Entre, sourire éclatant ; 7
Les paroles sur sa lèvre 7
Battent de l'aile en chantant. 7
25 Elle porte un châle à palmes, 7
Un chapeau rose charmant ; 7
Autour de ses grands yeux calmes 7
Tout frissonne doucement. 7
Elle brille et jase, et semble 7
30 Lueur, parfum, colibri ; 7
Si belle que le cœur tremble, 7
S'étonne, et cherche un abri. 7
Où va-t-elle ? d'où sort-elle ? 7
D'où sort l'aube ? où va le jour ? 7
35 Elle est la joie, étincelle 7
De cette flamme, l'amour. 7
Le peuple à la vitre admire, 7
D'un œil tendre et transporté, 7
Les femmes le cachemire 7
40 Et les hommes la beauté. 7
Tous l'appellent fée ou reine, 7
Astre, ange des cieux venu, 7
Et se sentent pleins de haine 7
Pour son amant inconnu. 7
45 Elle est blanche, aimable, exquise, 7
Folle et gaie ; et, sans combats, 7
Toute la foule est conquise ; 7
Chacun soupire tout bas : 7
Je voudrais être !… — et se nomme 7
50 Quelque idéal triomphant. 7
— Son ami ! dit un jeune homme. 7
— Son mari ! dit un enfant. 7
Qu'est-ce donc que cette femme ? 7
C'est une femme. Cela, 7
55 Quand Dieu fit la première âme, 7
Naquit et l'ensorcela. 7
Elle choisit chez l'orfèvre 7
Tous les beaux joyaux tremblants ; 7
Et l'or semble avoir la fièvre 7
60 Entre ses petits doigts blancs. 7
Elle prend tout, la pirate, 7
L'aigue, sœur des gouttes d'eau, 7
Les agates de Surate 7
Et les émaux du Lido, 7
65 Et la parure complète 7
De sardoine et de béryl ; 7
Elle éclate à chaque emplette 7
D'un doux rire puéril. 7
La perle voit cette belle. 7
70 Pourquoi fuir, perle au doux front ? 7
— J'aime mieux la mer, dit-elle ; 7
C'est moins sombre et moins profond. 7
5 avril 1855.
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