Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1387
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
VI
XLIV
Cela la désennuie ; elle vit toute seule ; 12
Elle est pauvre et travaille ; elle n'est pas bégueule ; 12
Elle échange de loin, et pour se reposer, 12
Un regard, et parfois, de la main, un baiser, 12
5 Avec un voisin, seul aussi dans sa mansarde ; 12
Et c'est étrange comme un baiser qu'on hasarde 12
Sait son chemin, et comme il a ce don vainqueur 12
De partir de la bouche et d'arriver au cœur. 12
Pourtant est-ce qu'elle aime ? Elle n'en est pas sûre. 12
10 Un baiser qui gaîment visite une masure, 12
Cela dore toujours un peu l'humble plafond. 12
Les songes, quand ce sont les pauvres qui les font, 12
Sont riches, et remplis de choses ineffables. 12
Ovide et ses romans, La Fontaine et ses-fables, 12
15 Ne sont rien à côté d'un cerveau de vingt ans 12
Qui fermente, et le cœur d'une fille, au printemps, 12
Crée un ciel, trouve un monde, et dépasse en chimère 12
Le bon Pilpay, le bon Perrault, le bon Homère. 12
La chimère suffit, on s'attarde à rêver 12
20 Un dieu dans ce jeune homme, on ne sait quel lever 12
D'étoile, en un grenier vaguement apparue, 12
Et l'on ne pense pas à traverser la rue ; 12
Elle n'est pas Agnès, et lui n'est pas Platon ; 12
Et peut-être jamais ne se parlera-t-on. 12
25 Car l'amour ébauché quelquefois se — prolonge 12
Dans la nuée au point de finir par un songe, 12
Et souvent, au moment où l'on croyait tenir 12
Une espérance, on voit que c'est un souvenir. 12
H. H.
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