Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1359
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
VI
XVI
COMMENCEMENT D'UNE ILLUSION
Il pleut ; la brume est épaissie ; 8
Voici novembre et ses rougeurs, 8
Et l'hiver, effroyable scie 8
Que Dieu nous fait, à nous songeurs. 8
5 L'abeille errait, l'aube était large, 8
L'oiseau jetait de petits cris, 8
Les moucherons sonnaient la charge 8
À l'assaut des rosiers fleuris. 8
C'était charmant. Adieu ces fêtes, 8
10 Adieu la joie, adieu l'été ! 8
Adieu le tumulte des têtes 8
Dans le rire et dans la clarté ! 8
Adieu les bois où le vent lutte, 8
Où Jean, dénicheur de moineaux, 8
15 Jouait aussi bien de la flûte 8
Qu'un grec de l'île de Tinos ! 8
Il faut rentrer dans la grand'ville 8
Qu'Alceste laissait à Henri ; 8
Où la foule encor serait vile 8
20 Si Voltaire n'avait pas ri. 8
Noir Paris ! tas de pierres morne 8
Qui, sans Molière et Rabelais, 8
Ne serait encor qu'une borne 8
Portant la chaîne des palais ! 8
25 Il faut rentrer au labyrinthe 8
Des pas, des carrefours, des mœurs, 8
Où l'on sent une sombre crainte 8
Dans l'immensité des rumeurs. 8
Je regarderai ma voisine 8
30 Puisque je n'ai plus d'autre fleur ! 8
Sa vitre vague où se dessine 8
Son profil, divin de pâleur, 8
Son réchaud où s'enfle la crème, 8
Sa voix qui dit encor maman, 8
35 Gare ! c'est le seuil d'un poème, 8
C'est presque le bord d'un roman. 8
Ma voisine est une ouvrière, 8
Au front de neige, aux dents d'émail, 8
Qu'on voit tous les soirs en prière 8
40 Et tous les matins au travail. 8
Cet ange ignore que j'existe, 8
Et, laissant errer son œil noir, 8
Sans le savoir me rend très triste 8
Et très joyeux sans le vouloir. 8
45 Elle est propre, douce, fidèle, 8
Et tient de Dieu, qui la bénit, 8
Des simplicités d'hirondelle 8
Qui ne sait que bâtir son nid. 8
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