Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1310
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
V
XXI
J'ai mené parfois dure vie, 8
Proscrit, errant de lieux en lieux, 8
Triste et jetant un œil d'envie 8
Au sépulcre mystérieux. 8
5 J'ai fait à pied de longues routes ; 8
Marchant la nuit, craignant les voix, 8
Plus rempli d'ombres et de doutes 8
Que la bête fauve des bois. 8
Ô vaincus des luttes civiles, 8
10 Malheur à vous ! rien ne vous sert. 8
J'ai le soir traversé des villes 8
Comme on traverse le désert. 8
Seul, comptant mon chétif pécule, 8
Loin de tous mes amis absents, 8
15 Je regardais, au crépuscule, 8
Aller et venir les passants. 8
L'eau des chemins mouillait mes guêtres. 8
Las, je tombais sur de vieux bancs. 8
Je regardais par les fenêtres 8
20 La gaîté des âtres flambants. 8
J'entendais rire sous le chaume 8
Les paysans à leur repas ; 8
Un étranger est un fantôme ; 8
Les murs ne le connaissent pas. 8
25 Comme Tullius fuyant Rome, 8
J'allais, ignorant où j'étais, 8
Accueilli par ceux que je nomme, 8
Repoussé par ceux que je tais. 8
La bise sifflait sur ma tête. 8
30 Je fuyais sans savoir comment, 8
Enveloppé de la tempête 8
Comme d'un sombre vêtement ; 8
En guerre avec l'ombre où nous sommes, 8
Avec l'onde et le vent marin, 8
35 Avec le ciel, avec les hommes, 8
En paix avec mon cœur serein ! 8
Mon âme ouvrait ses yeux funèbres ; 8
Tout était noir, plus de ciel bleu ; 8
Mais je voyais dans ces ténèbres 8
40 La lointaine blancheur de Dieu. 8
Je me disais dans ma souffrance : 8
— Pleurer est bon, mourir est beau. 8
Car la porte de l'espérance 8
S'ouvre avec la clef du tombeau. 8
45 Autour de moi, troupes ailées, 8
Les strophes dont l'essaim me suit. 8
Tourbillonnaient échevelées 8
Dans les souffles noirs de la nuit. 8
J'étais sûr, à travers mes peines, 8
50 Que j'étais un juste aux abois, 8
Et que les rochers et les chênes 8
Ne pouvaient point haïr ma voix. 8
Je parlais aux astres de flamme ; 8
Se taire ne sied qu'au maudit ; 8
55 Et je faisais chanter mon âme 8
Pour que la nature entendît. 8
Je ne sais pas quelles réponses , 8
Les vents faisaient à mes chansons. 8
J'ai mangé les mûres des ronces 8
60 Et j'ai dormi sous les buissons. 8
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