Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1286
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
IV
XXXIII
À UN POËTE
Ô rêveur, ne va pas sur les cimes, j'en viens ; 12
C'est terrible. Les sourds autans diluviens 12
Sont là qui passent et repassent ; 8
Là, flotte et disparaît tout ce que nous songions ; 12
5 Là, dans ces grands tombeaux nommés Religions, 12
Des corbeaux inconnus croassent. 8
Crains les hauts lieux hantés par les spectres ; les jeux 12
De l'abîme ne sont jamais plus orageux 12
Que sur les sommets formidables ; 8
10 Là, le réel avec l'ignoré se confond, 12
Et les échelons noirs des visions sans fond 12
Sont lugubrement abordables. 8
Là, rayonne un soleil que la brume élargit ; 12
Là, sont les fauves dieux, Néméos qui rugit, 12
15 Python qui siffle, Apis qui beugle 8
Sombre éblouissement dont ces grands ingénus, 12
Les sages, sortent fous, et d'où sont revenus 12
Tasse insensé, Milton aveugle. 8
Ne va pas dans les bois sacrés, ni sur les monts 12
20 Où Pythagore a vu la face des démons, 12
Où sont toutes ces formes blanches 8
Dont les mages profonds ne savent que penser, 12
Et qu'ils guettent, n'osant rien de plus que passer 12
Leurs têtes à travers les branches. 8
25 Crains l'inspiration farouche du désert ; 12
Le désert est tin lieu d'effroi dont Dieu se sert, 12
Et n'est point fait pour tes études : 8
Les gouffres ont parfois dévoré les plongeurs ; 12
Ne baigne pas ton front aux immenses rougeurs 12
30 Du couchant dans les solitudes. 8
Crains de rencontrer là ce qu'il ne faut pas voir. 12
Crains les ascensions vers le haut sommet noir. 12
Les ombres n'ont rien à te dire. 8
Cueille ta poésie aux champs parmi les fleurs, 12
35 Et ne va pas chercher de l'épouvante ailleurs 12
Puisque mai consent à sourire. 8
Crains les rudes coups d'aile et les becs flamboyants. 12
Crains ces halliers où sont dés êtres effrayants 12
Qui méditent sans lois ni règles. 8
40 Si tu cherchais à prendre au vol dans ces forêts 12
Quelque strophe sauvage et sombre, tu courrais 12
Des périls de dénicheur d'aigles. 8
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