Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1267
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
IV
XIV
Lorsque j'étais enfant, sortant de rhétorique, 12
J'envoÿais aux journaux de la prose lyrique 12
En l'honneur des géants du sombre esprit humain ; 12
J'essayais d'expliquer leur but et leur chemin, 12
5 De quel pas ils marchaient et vers quelle lumière ; 12
Ce qu'ils faisaient ; pourquoi la Bible est la première, 12
Et plus bas l'Iliade ; et je disais pourquoi 12
Molière demi-dieu passe Corneille roi ; 12
Ce qu'est Milton ; pourquoi ; je n'étais pas athée 12
10 Au génie ; et pourquoi j'admirais Prométhée ; 12
Pourquoi je contemplais les esprits éclatants, 12
Poètes, orateurs, sages ; — puis, par instants, 12
Je m'écriais, brisant mes plumes inquiètes : 12
— À quoi bon célébrer en prose les poètes ? 12
15 Louer l'immensité, l'azur, la profondeur ! 12
Peut-on dorer la flamme et grandir la grandeur ? 12
Chanter Homère en style à trente sous la page ! 12
Coudre un vain feuilleton, inutile tapage, 12
Accrocher ma louange en verres de couleur 12
20 Au roi Priam, géant de l'antique douleur, 12
À Job, à Jérémie, à Dante, à toi, Shakspeare, 12
Au vieil Eschyle en qui le vieux Titan respire ! 12
Dire au génie, au bas du journal : sois béni ! 12
Vanter ces écrivains du grand livre infini 12
25 Dont la foule ne sait pas même l'orthographe ! 12
Pendre une girandole en bouchons de carafe 12
À l'anneau de Saturne énorme et flamboyant ! 12
Et tout bas une voix me disait : — Ô croyant, 12
Le ciel t'a mis dans l'âme une lyre ingénue, 12
30 Non, ne t'arrête pas ! tu fais bien. Continue. 12
Admire. C'est ainsi qu'on vole au firmament. 12
Comprendre le génie est le commencement. 12
L'esprit religieux, dans ce monde où nous sommes, 12
Ébauche l'hymne à Dieu par un hymne aux grands hommes. 12
35 Les grands hommes, enfant, sont les lueurs de Dieu. 12
Ils sont l'ardente roue autour du sombre essieu, 12
Ils jettent, des hauteurs de leur brûlant solstice, 12
L'un de la vérité, l'autre de la justice, 12
L'autre de la sagesse, et tous de l'infini. 12
40 Le penseur qui, d'en bas à leur splendeur uni, 12
Tente l'ascension de leur sommet austère, 12
Voit dans tous ces esprits les degrés du mystère ; 12
Il sent dans chacun d'eux l'être inconnu, qui vit, 12
Il va de l'immortel à l'éternel, gravit 12
45 Du poète au prophète et du sage à l'apôtre, 12
Et, montant pas à pas d'une clarté sur l'autre, 12
Épelant le saint nom sur chaque front vermeil, 12
Fait avec les rayons une échelle au soleil. 12
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