Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1168
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
II
XXXIV
NUIT
I
Le ciel d'étain au ciel de cuivre 8
Succède. La nuit fait un pas. 8
Les choses de l'ombre vont vivre. 8
Les arbres se parlent tout bas. 8
5 Le vent, soufflant des empyrées, 8
Fait frissonner dans l'onde où luit 8
Le drap d'or des claires soirées, 8
Les sombres moires de la nuit. 8
Puis la nuit fait un pas encore. 8
10 Tout à l'heure, tout écoutait. 8
Maintenant nul bruit n'ose éclore ; 8
Tout s'enfuit, se cache et se tait. 8
Tout ce qui vit, existe ou pense, 8
Regarde avec anxiété 8
15 S'avancer ce sombre silence 8
Dans cette sombre immensité. 8
C'est l'heure où toute créature 8
Sent distinctement dans les cieux, 8
Dans la grande étendue obscure 8
20 Le grand Être mystérieux ! 8
II
Dans ses réflexions profondes, 8
Ce Dieu qui détruit en créant, 8
Que pense-t-il de tous ces mondes 8
Qui vont du chaos au néant ? 8
25 Est-ce à nous qu'il prête l'oreille ? 8
Est-ce aux anges ? Est-ce aux démons ? 8
À quoi songe-t-il, lui qui veille 8
À l'heure trouble où nous dormons ? 8
Que de soleils, spectres sublimes, 8
30 Que d'astres à l'orbe éclatant, 8
Que de mondes dans ces abîmes 8
Dont peut-être il n'est pas content ! 8
Ainsi que des monstres énormes 8
Dans l'océan illimité, 8
35 Que de créations difformes 8
Roulent dans cette obscurité ! 8
L'univers, où sa, sève coule, 8
Mérite-t-il de le fixer ? 8
Ne va-t-il pas briser ce moule, 8
40 Tout jeter, et recommencer ? 8
III
Nul asile que la prière ! 8
Cette heure sombre nous fait voir 8
La création tout entière 8
Comme un grand édifice noir ! 8
45 Quand flottent les ombres glacées, 8
Quand l'azur s'éclipse à nos yeux, 8
Ce sont d'effrayantes pensées 8
Que celles qui viennent des cieux ! 8
Oh ! la nuit muette et livide 8
50 Fait vibrer quelque chose en nous ! 8
Pourquoi cherche-t-on dans le vide ? 8
Pourquoi tombe-t-on à genoux ? 8
Quelle est cette secrète fibre ? 8
D'où vient que, sous ce morne effroi, 8
55 Le moineau ne se sent plus libre, 8
Le lion ne se sent plus roi ? 8
Questions dans l'ombre enfouies ! 8
Au fond du ciel de deuil couvert, 8
Dans ces profondeurs inouïes 8
60 Où l'âme plonge, où l'œil se perd, 8
Que se passe-t-il de terrible 8
Qui fait que l'homme, esprit banni, 8
A peur de votre calme horrible, 8
O ténèbres de l'infini ? 8
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