MÉTRIQUE EN LIGNE

Métrique en Ligne

HUG_24/HUG1154

Victor HUGO

TOUTE LA LYRE

1888-1893

II

XX

GROS TEMPS LA NUIT

	Le vent hurle ; la rafale	7
	Sort, ruisselante cavale,	7
	Du gouffre obscur,	4
	Et, hennissant sur l'eau bleue,	7
5	Des crins épars de sa queue	7
	Fouette l'azur.	4

	L'horizon, que, l'onde encombre,	7
	Serpent, au bas du ciel sombre	7
	Court tortueux ;	4
10	Toute la mer est difforme ;	7
	L'eau s'emplit d'un bruit énorme	7
	Et monstrueux.	4

	Le flot vient, s'enfuit, s'approche,	7
	Et bondit comme la cloche	7
15	Dans le clocher,	4
	Puis tombe, et bondit encore ;	7
	La vague immense et sonore	7
	Bat le rocher.	4

	L'océan frappe la terre.	7
20	Oh ! le forgeron Mystère,	7
	Au noir manteau,	4
	Que forge-t-il dans la brume,	7
	Pour battre une telle enclume	7
	D'un tel marteau ?	4

25	L'Hydre écaillée à l'œil glauque	7
	Se roule sur le flot rauque	7
	Sans frein ni mors ;	4
	La tempête maniaque	7
	Remue au fond du cloaque	7
30	Les os des morts.	4

	La mer chante un chant barbare.	7
	Les marins sont à la barre,	7
	Tout ruisselants ;	4
	L'éclair sur les promontoires	7
35	Éblouit les vagues noires	7
	De ses yeux blancs.	4

	Les marins qui sont au large	7
	Jettent tout ce qui les charge,	7
	Canons, ballots ;	4
40	Mais le flot gronde et blasphème :	7
	Ce que je veux, c'est vous-même,	7
	O matelots !	4

	Le ciel et la mer font rage.	7
	C'est la saison, c'est l'orage,	7
45	C'est le climat.	4
	L'ombre aveugle le pilote.	7
	La voile en haillons grelotte	7
	Au bout du mât.	4

	Tout se plaint, l'ancre à la proue,	7
50	La vergue au câble, la roue	7
	Au cabestan.	4
	On croit voir dans l'eau qui gronde,	7
	Comme un mont roulant sous l'onde,	7
	Léviathan.	4

55	Tout prend un hideux langage ;	7
	Le roulis parle au tangage,	7
	La hune au foc ;	4
	L'un dit : — L'eau sombre se lève.	7
	L'autre dit : — Le hameau rêve	7
60	Au chant du coq.	4

	C'est un vent de l'autre monde	7
	Qui tourmente l'eau profonde	7
	De tout côté,	4
	Et qui rugit dans l'averse ;	7
65	L'éternité bouleverse	7
	L'immensité.	4

	C'est fini. La cale est pleine.	7
	Adieu, maison, verte plaine,	7
	Âtre empourpré !	4
70	L'homme crie : ô Providence !	7
	La mort aux dents blanches danse	7
	Sur le beaupré.	4

	Et dans la sombre mêlée,	7
	Quelque fée échevelée,	7
75	Urgel, Morgan,	4
	À travers le vent qui souffle,	7
	Jette en riant sa pantoufle	7
	À l'ouragan.	4

2 février 1854.