Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1128
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
I
XXXIV
Elle prend un miroir, s'y regarde, le jette avec horreur,
souffle son flambeau, et tombe à genoux auprès de son lit.
Oh ! je suis monstrueuse et les autres sont belles ! 12
Cette bosse ! ô mon Dieu !…
Elle cache son visage dans ses mains et laisse tomber sa tête sur le lit.
Elle s'endort.
UNE VOIX
C'est là que sont tes ailes !
La chambre s'emplit d'une lumière vague. — Elle dort toujours.
Au fond une forme ailée apparaît dans un nimbe de rayons.
Écoute-moi. Je suis ton fiancé des cieux. 12
Tu portes sur ton dos le sac mystérieux, 12
5 Tu portes sur ton dos l'œuf divin de la tombe ; 12
Sous ce poids bienheureux ton corps chancelle et tombe, 12
Et le regard humain a cette infirmité 12
De voir dans ta splendeur une difformité. 12
Ta gloire dans le ciel est ton fardeau sur terre. 12
10 Tu pleures. Mais pour nous, les voyants du mystère, 12
Qui savons ce que Dieu met dans l'humanité, 12
De ton épaule sombre il sort une clarté. 12
Être qui fais pitié même aux prostituées, 12
O femme en proie au rire, à l'affront, aux huées, 12
15 Sur qui semble à jamais s'être accroupi Smarra, 12
À ta mort ton épaule informe s'ouvrira, 12
Car la chair s'ouvre alors pour laisser passer l'âme, 12
O femme, et l'on verra de cette bosse infâme, 12
Moquée et vile, horrible à tout être vivant, 12
20 Sortir deux ailes d'ange immenses, que le vent 12
Gonflera dans les cieux comme il gonfle des voiles, 12
Et qui se déploieront toutes pleines d'étoiles ! 12
Oui, Lise, écoute-moi. Nous autres nous voyons 12
L'ange à travers le monstre, et je vois tes rayons ! 12
25 Du songe où ta laideur rampe, se cache et pleure, 12
Oui, de ce songe affreux que tu fais à cette heure, 12
Tu t'éveilleras belle au-delà de tes vœux ! 12
Tu flotteras, voilée avec tes longs cheveux 12
Et dans la nudité céleste de la tombe, 12
30 Et tu resteras femme en devenant colombe. 12
Tu percevras, dans l'ombre et dans l'immensité, 12
Un sombre hymne d'amour montant vers ta beauté ; 12
Les hommes à leur tour te paraîtront difformes ; 12
Tu verras sur leurs dos leurs fautes, poids énormes ; 12
35 Les fleurs éclaireront ton corps divin et beau, 12
Car leur parfum devient clarté dans le tombeau ; 12
Les astres t'offriront leur rose épanouie. 12
Tu prendras pour miroir, de toi-même éblouie, 12
Ce grand ciel qui te semble aujourd'hui plein de deuil ; 12
40 Ailée et frissonnante au bord de ton cercueil, 12
Comme l'oiseau qui tremble au penchant des ravines, 12
Tu sentiras frémir dans les brises divines 12
Ton corps fait de splendeur ; ton sein blanc, ton front pur, 12
Et tu t'envoleras dans le profond azur ! 12
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