Métrique en Ligne
HUG_23/HUG976
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
III
Ô sainte horreur du mal ! Devoir funèbre ! Ô haine ! 12
Quand Virgile suspend la chèvre au blanc troëne ; 12
Quand Lucrèce revêt de feuilles l'homme nu ; 12
Quand Ennius compare au satyre cornu 12
5 Le bouc passant sa tête à travers la broussaille 12
Qui fait qu'Europe au bain se détourne et tressaille ; 12
Quand Moschus chante Enna ; quand Horace gaîment 12
Suit Canidie, et fait, sur le chaudron fumant 12
Où l'horreur de la lune et des tombeaux s'infiltre, 12
10 Éternuer Priape à l'âcre odeur du philtre ; 12
Quand Plaute bat Davus ou raille Amphitryon, 12
Le ciel bleu dans un coin brille et jette un rayon 12
Sur la baigneuse émue ou la chèvre qui grimpe, 12
Et l'on entend au fond rire l'immense Olympe. 12
15 Mais tout azur s'éclipse où passent les vengeurs. 12
Les soupiraux d'en bas teignent de leurs rougeurs 12
Le mur sinistre auquel s'adosse Jérémie. 12
Les punisseurs sont noirs. Leur pâle et grave amie, 12
La Mort, leur met la main sur l'épaule, et leur dit : 12
20 — Esprit, ne laisse pas échapper ton bandit. 12
Car ce sont eux qui, seuls, justiciers des abîmes, 12
Terrassent à jamais les monstres et les crimes ; 12
Car ils sont les géants des châtiments de Dieu ; 12
Car, sur des écriteaux d'acier en mots de feu, 12
25 Du tonnerre escortés, ces hommes formidables 12
Transcrivent de là-haut les arrêts insondables ; 12
Car ils mettent Achab et Tibère au poteau ; 12
Car l'un porte l'éclair, l'autre tient le marteau ; 12
Ils marchent, affichant des sentences que l'homme 12
30 Lit effaré, sur Tyr, sur Ninive, sur Rome, 12
Et, sombres, à travers les siècles effrayés, 12
Vont, et ces foudroyants traînent leurs foudroyés. 12
Isaïe, accoudé sur Babylone athée, 12
Songe ; Eschyle, vengeur et fils de Prométhée, 12
35 Cloue au drame d'airain le tyran Jupiter ; 12
Shakspeare mène en laisse Henri huit ; et Luther 12
Fouette les Borgia mêlés aux Louis onze ; 12
Tacite dans la nuit pose son pied de bronze 12
Sur les douze dragons qu'on appelle Césars ; 12
40 Daniel va, suivi des blêmes Balthazars ; 12
Machiavel pensif garde la bête prince ; 12
Milton veille au guichet du cachot, gouffre où grince 12
Le pandæmonium de tous les Satans rois ; 12
Juvénal tire et traîne à travers les effrois 12
45 La stryge au double front que son vers a tuée, 12
Qui gronde impératrice et rit prostituée ; 12
Et Dante tient le bout de la chaîne de fer 12
Que Judas rêveur mord dans l'ombre de l'enfer. 12
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