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HUG_23/HUG1074
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
III
LE LIVRE LYRIQUE
— LA DESTINÉE —
LI
LE PARISIEN DU FAUBOURG
Il fait la noce éternelle. 7
La table est dans la tonnelle ; 7
Mort ivre, il tombe dessous ; 7
Et, c’est là sa réussite, 7
5 Il va, quand il ressuscite, 7
Au paradis pour six sous. 7
Rire et boire, et c’est la vie ! 7
On régale ; on se convie 7
Sur le vieux comptoir de plomb ; 7
10 Toujours fête ; et le dimanche 7
Tient le lundi par la manche ; 7
Le dimanche a le bras long. 7
Le broc luit sous les charmilles. 7
— Nous tendrons un verre aux filles 7
15 Et nous les embrasserons ; 7
Être heureux, c’est très facile. 7
La Grèce avait le Pœcile, 7
La France a les Porcherons. 7
Las, on se couche aux carrières… — 7
20 Oh ! Ce peuple des barrières ! 7
Oh ! Ce peuple des faubourgs ! 7
Fou de gaîtés puériles, 7
Donnant quelques fleurs stériles 7
Pour tant de profonds labours ! 7
25 Il dort, il chante, il s’irrite. 7
Rome dit : quel sybarite ! 7
Sybaris dit : quel romain ! 7
À toute minute il change ; 7
Et ce serait un archange 7
30 Si ce n’était un gamin. 7
L’athénien est son père. 7
Par moments on désespère ; 7
Il quitte et reprend son bât. 7
Devinez cette charade : 7
35 Il achève en mascarade 7
Ce qu’il commence en combat. 7
Il n’a plus rien dans les veines ; 7
Il emploie aux danses vaines 7
Ces grands mois, juillet, août ; 7
40 Quel bâtard, ou quel maroufle ! 7
— Mais un vent inconnu souffle ; 7
Il se lève tout à coup, 7
Tout ruisselant d’espérance, 7
Disant : je m’appelle France ! 7
45 Splendide, ivre de péril, 7
Beau, joyeux, l’âme éveillée, 7
Comme une abeille mouillée 7
De rosée au mois d’avril ! 7
Il se lève formidable, 7
50 Abordant l’inabordable, 7
Prenant dans ses poings le feu, 7
Sonnant l’heure solennelle, 7
Ayant l’homme sous son aile 7
Et dans sa prunelle Dieu ! 7
55 Fier, il mord dans le fer rouge. 7
Il change en éden le bouge, 7
Enfante chefs et soldats, 7
Et, se dressant dans sa gloire, 7
Finit sa chanson à boire 7
60 Par ce cri : Léonidas ! 7
Qu’un autre lui jette un blâme. 7
Il est le peuple et la femme ; 7
C’est l’enfant insoucieux 7
Qui soudain s’allume et brille ; 7
65 Il descend de la Courtille, 7
Mais il monte dans les cieux. 7
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