Métrique en Ligne
HUG_23/HUG1042
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
III
LE LIVRE LYRIQUE
— LA DESTINÉE —
XIX
SUR LA FALAISE
I
Tu souris dans l’invisible. 7
Ô douce âme inaccessible, 7
Seul, morne, amer, 4
Je sens ta robe qui flotte 7
5 Tandis qu’à mes pieds sanglote 7
La sombre mer. 4
La nuit à mes chants assiste. 7
Je chante mon refrain triste 7
À l’horizon. 4
10 Ange frissonnant, tu mêles 7
Le battement de tes ailes 7
À ma chanson. 4
Je songe à ces pauvres êtres, 7
Nés sous tous ces toits champêtres, 7
15 Dont le feu luit, 4
Barbe grise, tête blonde, 7
Qu’emporta cette eau profonde 7
Dans l’âpre nuit. 4
Je pleure les morts des autres. 7
20 Hélas ! Leurs deuils et les nôtres 7
Ne sont qu’un deuil. 4
Nous sommes, dans l’étendue, 7
La même barque perdue 7
Au même écueil. 4
II
25 Tous ces patrons, tous ces mousses, 7
Qu’appelaient tant de voix douces 7
Et tant de vœux, 4
Ils sont mêlés à l’espace, 7
Et le poisson d’argent passe 7
30 Dans leurs cheveux. 4
Au fond des vagues sans nombre, 7
On voit, sous l’épaisseur sombre 7
Du flot bruni, 4
Leur bouche ouverte et terrible 7
35 Qui boit la stupeur horrible 7
De l’infini. 4
Ils errent, blêmes fantômes. 7
Ils ne verront plus les chaumes 7
Au pignon noir, 4
40 Les bois aux fraîches ramées, 7
Les prés, les fleurs, les fumées 7
Dans l’or du soir. 4
Dans leurs yeux l’onde insensée, 7
Qui fuit sans cesse, poussée 7
45 Du vent hagard, 4
Remplace, sombre passante, 7
La terre, à jamais absente 7
De leur regard. 4
Ils sont l’ombre et le cadavre ; 7
50 Ceux qui vont de havre en havre 7
Dans les reflux, 4
Qui ne verront plus l’aurore, 7
Et que l’aube au chant sonore 7
Ne verra plus. 4
III
55 Et cependant sur les côtes 7
On songe encore à ces hôtes 7
De l’inconnu, 4
Partis, dans l’eau qui frissonne, 7
Pour cette ombre dont personne 7
60 N’est revenu. 4
C’était l’enfant ! C’était l’homme ! 7
On les appelle, on les nomme 7
Dans les maisons, 4
Le soir, quand brille le phare, 7
65 Et quand la flamme s’effare 7
Sur les tisons. 4
L’un dit : ― En août, j’espère, 7
Ils reviendront tous, Jean, Pierre, 7
Jacques, Louis ; 4
70 Quand la vigne sera mûre ;… ― 7
Et le vent des nuits murmure : 7
Évanouis ! 4
L’autre dit : ― Dans les tempêtes 7
Regardez bien, et leurs têtes 7
75 Apparaîtront. 4
On les voit quand le soir tombe. 7
Toute vague est une tombe 7
D’où sort un front. ― 4
IV
C’est dans cette onde effrénée 7
80 Que leur âme au ciel est née, 7
Divin oiseau. 4
Toute vague est une tombe ; 7
Toute vague, ô ma colombe, 7
Est un berceau. 4
logo du CRISCO logo de l'université