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Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends |
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Les faibles, les vaincus, les petits, les enfants. |
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Je suis calomnié. Pourquoi ? Parce que j’aime |
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Les bouches sans venin, les cœurs sans stratagème. |
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Le bonze aux yeux baissés m’abhorre avec ferveur, |
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Mais qu’est-ce que cela me fait, à moi rêveur ? |
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Je sens au fond des cieux quelqu’un qui voit mon âme ; |
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Cela suffit. Le flot ne brise point la rame, |
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Le vent ne brise pas l’aile, l’adversité |
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Ne brise pas l’esprit qui va vers la clarté. |
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Je vois en moi l’erreur tomber et le jour croître ; |
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Je sens grandir le temple et s’écrouler le cloître. |
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Rien de fermé. Le ciel ouvert. L’étoile à nu. |
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L’idole disparaît, Dieu vient. C’est l’inconnu, |
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Mais le certain. Je sens dans mon âme ravie |
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La dilatation superbe de la vie, |
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Et la sécurité du fond vrai sous mes pas. |
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L’abri pour le sommeil, le pain pour le repas, |
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Je les trouve. D’ailleurs les heures passent vite. |
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Quelquefois on me suit, quelquefois on m’évite ; |
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Je vais. Souvent mes pieds sont las, mon cœur jamais. |
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Le juste, — Hélas, je saigne, où sont ceux que j’aimais ? — |
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Sent qu’il va droit au but quand au hasard il marche. |
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Je suis, comme jadis l’antique patriarche, |
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Penché sur une énigme où j’aperçois du jour. |
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Je crie à l’ombre immense : Amour ! Amour ! Amour ! |
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Je dis : espère et crois, qui que tu sois qui souffres ! |
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Je sens trembler sous moi l’arche du pont des gouffres ; |
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Pourtant je passerai, j’en suis sûr. Avançons. |
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Par moments la forêt penche tous ses frissons |
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Sur ma tête, et la nuit m’attend dans les bois traîtres ; |
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Je suis proscrit des rois, je suis maudit des prêtres ; |
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Je ne sais pas un mois d’avance où je serai |
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Le mois suivant, l’orage étant démesuré ; |
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Puis l’azur reparaît, l’azur que rien n’altère ; |
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Ma route, blanche au ciel, est noire sur la terre ; |
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Je subis tour à tour tous les vents de l’exil ; |
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J’ai contre moi quiconque est fort, quiconque est vil ; |
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Ceux d’en bas, ceux d’en haut pour m’abattre s’unissent ; |
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Mais qu’importe ! Parfois des berceaux me bénissent, |
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L’homme en pleurs me sourit, le firmament est bleu, |
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Et faire son devoir est un droit. Gloire à Dieu ! |
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