Métrique en Ligne
HUG_2/HUG534
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE SIXIÈME
AU BORD DE L'INFINI
I
Le Pont
J'avais devant les yeux les ténèbres. L'abîme 12
Qui n'a pas de rivage et qui n'a pas de cime, 12
Était là, morne, immense ; et rien n'y remuait. 12
Je me sentais perdu dans l'infini muet. 12
5 Au fond, à travers l'ombre, impénétrable voile, 12
On apercevait Dieu comme une sombre étoile. 12
Je m'écriai : — Mon âme, ô mon âme ! il faudrait, 12
Pour traverser ce gouffre où nul bord n'apparaît, 12
Et pour qu'en cette nuit jusqu'à ton Dieu tu marches, 12
10 Bâtir un pont géant sur des millions d'arches. 12
Qui le pourra jamais ? Personne ! ô deuil ! effroi ! 12
Pleure ! — Un fantôme blanc se dressa devant moi 12
Pendant que je jetais sur l'ombre un œil d'alarme, 12
Et ce fantôme avait la forme d'une larme ; 12
15 C'était un front de vierge avec des mains d'enfant ; 12
Il ressemblait au lys que la blancheur défend ; 12
Ses mains en se joignant faisaient de la lumière. 12
Il me montra l'abîme où va toute poussière, 12
Si profond, que jamais un écho n'y répond ; 12
20 Et me dit : — Si tu veux je bâtirai le pont. 12
Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière. 12
— Quel est ton nom ? lui dis-je. Il me dit : — La prière. 12
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