LIVRE SIXIÈME |
AU BORD DE L'INFINI |
I |
Le Pont |
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J'avais devant les yeux les ténèbres. L'abîme |
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Qui n'a pas de rivage et qui n'a pas de cime, |
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Était là, morne, immense ; et rien n'y remuait. |
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Je me sentais perdu dans l'infini muet. |
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Au fond, à travers l'ombre, impénétrable voile, |
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On apercevait Dieu comme une sombre étoile. |
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Je m'écriai : — Mon âme, ô mon âme ! il faudrait, |
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Pour traverser ce gouffre où nul bord n'apparaît, |
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Et pour qu'en cette nuit jusqu'à ton Dieu tu marches, |
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Bâtir un pont géant sur des millions d'arches. |
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Qui le pourra jamais ? Personne ! ô deuil ! effroi ! |
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Pleure ! — Un fantôme blanc se dressa devant moi |
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Pendant que je jetais sur l'ombre un œil d'alarme, |
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Et ce fantôme avait la forme d'une larme ; |
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C'était un front de vierge avec des mains d'enfant ; |
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Il ressemblait au lys que la blancheur défend ; |
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Ses mains en se joignant faisaient de la lumière. |
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Il me montra l'abîme où va toute poussière, |
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Si profond, que jamais un écho n'y répond ; |
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Et me dit : — Si tu veux je bâtirai le pont. |
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Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière. |
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— Quel est ton nom ? lui dis-je. Il me dit : — La prière. |
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Jersey,
décembre 1852.
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