Métrique en Ligne
HUG_2/HUG498
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE QUATRIÈME
PAUCA MEAE
IX
O souvenirs ! printemps ! aurore ! 8
Doux rayon triste et réchauffant ! 8
— Lorsqu'elle était petite encore, 8
Que sa sœur était tout enfant… — 8
5 Connaissez-vous sur la colline 8
Qui joint Montlignon à Saint-Leu, 8
Une terrasse qui s'incline 8
Entre un bois sombre et le ciel bleu ? 8
— C'est là que nous vivions. — Pénètre, 8
10 Mon cœur, dans ce passé charmant ! — 8
Je l'entendais sous ma fenêtre 8
Jouer le matin doucement. 8
Elle courait dans la rosée, 8
Sans bruit, de peur de m'éveiller ; 8
15 Moi, je n'ouvrais pas ma croisée, 8
De peur de la faire envoler. 8
Ses frères riaient… — Aube pure ! 8
Tout chantait sous ces frais berceaux, 8
Ma famille avec la nature, 8
20 Mes enfants avec les oiseaux ! — 8
Je toussais, on devenait brave ; 8
Elle montait à petits pas, 8
Et me disait d'un air très grave : 8
« J'ai laissé les enfants en bas. » 8
25 Qu'elle fût bien ou mal coiffée, 8
Que mon cœur fût triste ou joyeux, 8
Je l'admirais. C'était ma fée, 8
Et le doux astre de mes yeux ! 8
Nous jouions toute la journée. 8
30 O jeux charmants ! chers entretiens ! 8
Le soir, comme elle était l'aînée, 8
Elle me disait : « Père, viens ! 8
Nous allons t'apporter ta chaise, 8
Conte-nous une histoire, dis ! » — 8
35 Et je voyais rayonner d'aise 8
Tous ces regards du paradis. 8
Alors, prodiguant les carnages, 8
J'inventais un conte profond 8
Dont je trouvais les personnages 8
40 Parmi les ombres du plafond. 8
Toujours, ces quatre douces têtes 8
Riaient, comme à cet âge on rit, 8
De voir d'affreux géants très bêtes 8
Vaincus par des nains pleins d'esprit. 8
45 J'étais l'Arioste et l'Homère 8
D'un poëme éclos d'un seul jet ; 8
Pendant que je parlais, leur mère 8
Les regardait rire, et songeait. 8
Leur aïeul, qui lisait dans l'ombre, 8
50 Sur eux parfois levait les yeux, 8
Et, moi, par la fenêtre sombre 8
J'entrevoyais un coin des cieux ! 8
logo du CRISCO logo de l'université