Métrique en Ligne
HUG_2/HUG495
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE QUATRIÈME
PAUCA MEAE
VI
Quand nous habitions tous ensemble 8
Sur nos collines d'autrefois, 8
Où l'eau court, où le buisson tremble, 8
Dans la maison qui touche aux bois, 8
5 Elle avait dix ans, et moi trente ; 8
J'étais pour elle l'univers. 8
Oh ! comme l'herbe est odorante 8
Sous les arbres profonds et verts ! 8
Elle faisait mon sort prospère, 8
10 Mon travail léger, mon ciel bleu. 8
Lorsqu'elle me disait : Mon père, 8
Tout mon cœur s'écriait : Mon Dieu ! 8
À travers mes songes sans nombre, 8
J'écoutais son parler joyeux, 8
15 Et mon front s'éclairait dans l'ombre 8
À la lumière de ses yeux. 8
Elle avait l'air d'une princesse 8
Quand je la tenais par la main ; 8
Elle cherchait des fleurs sans cesse 8
20 Et des pauvres dans le chemin. 8
Elle donnait comme on dérobe, 8
En se cachant aux yeux de tous. 8
Oh ! la belle petite robe 8
Qu'elle avait, vous rappelez-vous ? 8
25 Le soir, auprès de ma bougie, 8
Elle jasait à petit bruit, 8
Tandis qu'à la vitre rougie 8
Heurtaient les papillons de nuit. 8
Les anges se miraient en elle. 8
30 Que son bonjour était charmant ! 8
Le ciel mettait dans sa prunelle 8
Ce regard qui jamais ne ment. 8
Oh ! je l'avais, si jeune encore, 8
Vue apparaître en mon destin ! 8
35 C'était l'enfant de mon aurore, 8
Et mon étoile du matin ! 8
Quand la lune claire et sereine 8
Brillait aux cieux, dans ces beaux mois, 8
Comme nous allions dans la plaine ! 8
40 Comme nous courions dans les bois ! 8
Puis, vers la lumière isolée 8
Étoilant le logis obscur, 8
Nous revenions par la vallée 8
En tournant le coin du vieux mur ; 8
45 Nous revenions, cœurs pleins de flamme, 8
En parlant des splendeurs du ciel. 8
Je composais cette jeune âme 8
Comme l'abeille fait son miel. 8
Doux ange aux candides pensées, 8
50 Elle était gaie en arrivant… — 8
Toutes ces choses sont passées 8
Comme l'ombre et comme le vent ! 8
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