Métrique en Ligne
HUG_19/HUG969
Victor HUGO
LE PAPE
1878
LE PAPE
SCÈNE PREMIÈRE
SOMMEIL
Le Vatican. La chambre du Pape. La nuit.
LE PAPE
dans son lit
Ah ! je m'endors ! — Enfin !
Il s'endort.
PAROLES DANS LE CIEL ÉTOILÉ
O vivants, hommes, femmes,
Dormez. Apaise-toi, noir tumulte des âmes. 12
Oubli ! trêve ! ô méchants, reposez-vous. Assez ! 12
Vous devez être las puisque vous haïssez. 12
5 Voici l'heure de paix que la terre réclame. 12
Le cœur divin envoie au cœur humain sa flamme. 12
La pensée a grandi car le rêve est venu. 12
Homme, ne te crois pas plongé dans l'inconnu ; 12
Tu connais tout, sachant que tu dois être juste ; 12
10 Le sort est l'antre noir, l'âme est la lampe auguste ; 12
Dieu par la conscience inextinguible unit 12
L'innocence de l'homme aux blancheurs du zénith. 12
Va, ta tête est au ciel par un rayon liée. 12
La vie est une page obscurément pliée 12
15 Que l'homme en mourant lit et déchiffre en dormant. 12
Le sommeil est un sombre épanouissement. 12
Il est des voix, il est des pas, il est des ondes ; 12
Tout se mêle : clameurs, rumeurs, vagues profondes, 12
Foules blêmes, troupeaux pensifs, essaims joyeux ; 12
20 Tout marche au but divin sous les éternels yeux. 12
Responsabilité, pèse, voici ton heure, 12
Du haut des deux, et rends l'âme humaine meilleure. 12
Les noirs vivants ont tous au pied le même anneau. 12
Sens, ô berger, le poids énorme de l'agneau. 12
25 Frêles puissants, tâchez que l'ombre vous tolère ; 12
Le gouffre est irrité d'une bonne colère ; 12
Le gouffre est menaçant, mais c'est contre le fort 12
L'atome avec raison compte, lorsqu'il s'endort, 12
Sur la protection terrible des abîmes. 12
30 Dormez, Vertus, dormez, souffrances, dormez, crimes, 12
Sous la sérénité du firmament vermeil. 12
Heureux l'homme qui sent à travers son sommeil 12
Que les étoiles sont sur la terre levées 12
Pour protéger le faible et l'humble et leurs couvées, 12
35 Qui tâche de comprendre .en dormant, et qui sent 12
Qu'un immense conseil mystérieux descend ! 12
Laissez passer sur vous les astres vénérables, 12
Et dormez. O vivants, princes, grands, misérables, 12
À cette heure au fantôme en son linceul pareils, 12
40 Ayez le tremblement du rêve en vos sommeils. 12
Que l'âme veille en vous !
LES ROIS ENTRENT
LES ROIS
Salut, Pape. Nous sommes
Les tout-puissants, les rois, les maîtres.
LE PAPE
Salut, hommes.
LES ROIS
Prêtre, nous sommes rois.
LE PAPE
Pourquoi ?
LES ROIS
Rois à jamais.
LE PAPE
Et Dieu ?
LES ROIS
Tu sais qu'il est sur terre des sommets.
LE PAPE
45 De la hauteur de Dieu je ne vois qu'une plaine. 12
LES ROIS
Nous sommes grands, vainqueurs, forts.
LE PAPE
Tout est l'ombre humaine.
LES ROIS
Nous sommes les élus.
LE PAPE
L'homme à l'homme est égal.
LES ROIS
Nous sommes ce que sont l'Horeb et le Galgal, 12
Ce qu'est le Sinaï par dessus les campagnes ; 12
50 Nous sommes une chaîne auguste de montagnes ; 12
Nous sommes l'horizon par Dieu même construit. 12
LE PAPE
Les monts ont au front l'aube et les rois ont la nuit. 12
Dieu n'a pas fait les rois.
LES ROIS
N'es-tu pas roi toi-même ?
LE PAPE
Moi ! régner ! non !
LES ROIS
Alors, qu'est-ce que tu fais ?
LE PAPE
J'aime.
LE PAPE SUR LE SEUIL DU VATICAN
55 Je parle à la Cité, je parle à l'Univers. 12
Écoutez, ô vivants de tant d'ombre couverts, 12
Qu'égara si longtemps l'imposture servile, 12
Le sceptre est vain, le trône est noir, la pourpre est vile. 12
Qui que vous soyez, fils du Père, écoutez tous. 12
60 Il n'est sous le grand ciel impénétrable et doux 12
Qu'une pourpre, l'amour ; qu'un trône, l'innocence. 12
L'aube et l'obscure nuit sont dans l'homme en présence 12
Comme deux combattants prêts à s'entre-tuer ; 12
Le prêtre est un pilote ; il doit s'habituer 12
65 À la lumière afin que son âme soit blanche ; 12
Tout veut croître au grand jour, l'homme, la fleur, la branche, 12
La pensée ; il est temps que l'aurore ait raison ; 12
Et Dieu ne nous a pas confié sa maison, 12
La justice, pour vivre en dehors d'elle, et faire 12
70 Grandir l'ombre et tourner à contre-sens la sphère. 12
Je suis comme vous tous, aveugle, ô mes amis ! 12
J'ignore l'homme, Dieu, le monde ; et l'on m'a mis 12
Trois couronnes au front, autant que d'ignorances. 12
Celui qu'on nomme un pape est vêtu d'apparences ; 12
75 Mes frères les vivants me semblent mes valets ; 12
Je ne sais pas pourquoi j'habite ce palais ; 12
Je ne sais pas pourquoi je porte un diadème ; 12
On m'appelle Seigneur des Seigneurs, Chef suprême, 12
Pontife souverain, Roi par le ciel choisi ; 12
80 O peuples, écoutez, j'ai.découvert ceci. 12
Je suis un pauvre. Aussi je m'en vais. J'abandonne 12
Ce palais, espérant que cet or me pardonne, 12
Et que cette richesse et que tous ces trésors 12
Et que l'effrayant luxe usurpé dont je sors 12
85 Ne me maudiront pas d'avoir, vécu, fantôme, 12
Dans cette pourpre, moi qui suis fait pour le chaume ! 12
La conscience humaine est ma sœur, et je vais 12
Lui parler ; j'ai pour loi de haïr le mauvais 12
Sans haïr le méchant ; je ne suis plus qu'un moine 12
90 Comme Basile, comme Honorât, comme Antoine ; 12
Je ne chausserai plus la sandale où la croix 12
S'étonne du baiser parfois sanglant des rois. 12
Peuples, jadis Noé sortit rêveur de l'arche ; 12
Je sors aussi. Je pars. Et je me mets en marche 12
95 Sur la terre, au hasard, sous le haut firmament, 12
Dans l'aube ou dans l'orage, ayant pour vêtement, 12
Si cela plaît au ciel, la pluie et la tempête, 12
Sans savoir où le soir je poserai ma tête, 12
N'ayant rien que l'instant, et les instants sont courts ; 12
100 Je sais que l'homme souffre, et j'arrive au secours 12
De tout esprit qui flotte et de tout cœur qui sombre ; 12
Je vais dans les déserts, dans les hameaux, dans l'ombre, 12
Dans les ronces, parmi les cailloux du ravin, 12
Errer comme Jésus, le va-nu-pieds divin. 12
105 Pour celui qui n'a rien, c'est s'emparer du monde, 12
Que de marcher parmi l'humanité profonde, 12
Que de créer des cœurs, que d'accroître la foi, 12
Et d'aller, en semant des âmes, devant soi ! 12
Je prends la terre aux rois, je rends aux Romains Rome, 12
110 Et je rentre chez Dieu, c'est-à-dire chez l'Homme. 12
Laisse-moi passer, peuple. Adieu, Rome.
LE SYNODE D'ORIENT
LE PATRIARCHE D'ORIENT
tiare au front, en habits pontificaux ;
les évêques l'entourent ; mitres et chapes d'or.
Chantez,
Allégresse et louange ! ô tribus, ô cités, 12
Chantez dans le vallon, chantez sur la montagne. 12
Sabaoth est l'époux, l'Église est sa compagne, 12
115 Peuple, je suis l'apôtre, et je bénis les cieux. 12
Entre un homme vêtu de bure noire, une croix de bois à la main.
L'HOMME
Bénir le ciel est bien, bénir l'enfer est mieux. 12
LE PATRIARCHE
L'enfer !
L'HOMME
Oui, c'est-à-dire, ô prêtre, les misères.
Bénis cela. Bénis les pleurs, les cœurs sincères ; 12
Mais flétris, où le bien contre le mal combat ; 12
120 Bénis le dénûment, le haillon, lé grabat, 12
Le bagne, dont la chaîne épouvantable passe ; 12
Bénis l'humble esprit sombre et la pauvre âme lasse ; 12
Bénis tous ceux pour qui jamais tu ne prias ; 12
Bénis les réprouvés, benis les parias, 12
125 Et ce total des maux qui sur terre est la somme 12
Des salaires. Bénis l'enfer.
LE PATRIARCHE
Quel est cet homme ?
L'HOMME
Évêque d'Orient, l'évêque d'Occident 12
Te salue, et je suis ton frère. Sois prudent 12
Et sois pensif ; car Dieu, sache-le, prêtre, existe. 12
LE PATRIARCHE
C'est vous, Père ! vêtu d'un linceul !
LE PAPE
130 Je suis triste.
LE PATRIARCHE
Vous le premier sur terre !
LE PAPE
Hélas !
LE PATRIARCHE
Triste de quoi ?
LE PAPE
De la douleur de tous et de ta joie à toi. 12
Il fait un pas et regarde fixement le Patriarche.
Prêtre, on souffre ! et le luxe odieux t'environne ! 12
Commence par jeter par terre ta couronne. 12
135 La couronne est gênante à l'auréole. Il faut 12
Choisir de l'or d'en bas ou du rayon d'en haut. 12
Sache, ô pasteur joyeux, que les peuples frissonnent ; 12
Sache que le ciel pâle est plein d'heures qui sonnent 12
Le tocsin des berceaux, le glas des nouveau-nés. 12
140 Prends garde aux innocents dont tu fais des damnés. 12
Crains le mal qui flamboie et que toi-même attises 12
Avec tes vanités, avec tes convoitises. 12
Frère, ne soyons pas des prêtres désastreux. 12
N'imitons pas les rois qui se volent entr'eux 12
145 Les Alsaces, les Metz, les Strasbourg, les Hanovres. 12
Prêtre, à qui donc as-tu pris ta richesse ? Aux pauvres. 12
Quand l'or s'enfle en ton sac, Dieu dans ton cœur décroît. 12
Apprends qu'on est sans pain et sache qu'on a froid ; 12
Les jeunes filles vont rôdant le soir dans l'ombre. 12
150 Tes rochets, ta chasuble aux topazes sans nombre, 12
Ta robe où l'Orient doré s'épanouit, 12
Sont des spectres qui sont noirs et vivants la nuit, 12
Et qui prennent Jésus dans sa crèche, et le tuent. 12
Sache qu'au lit public les femmes s'habituent 12
155 Parce qu'il faut céder, se rendre, et vivre enfin, 12
Le riche ayant le vice et le pauvre la faim. 12
Que te sert d'empiler sur des planches d'armoire 12
Du velours, du damas, du satin, de la moire, 12
D'avoir des bonnets d'or et d'emplir des tiroirs 12
160 De chapes qu'on dirait couvertes de miroirs ? 12
O pauvres que j'entends râler, forçats augustes, 12
Tous ces trésors, chez vous sacrés, chez nous injustes, 12
Ce diamant qui met à la mitre un éclair, 12
Cette émeraude où semble errer toute la mer, 12
165 Ce resplendissement sombre des pierreries, 12
C'est votre sang, le lait des mamelles taries, 12
C'est le grelottement des petits enfants nus ! 12
C'est votre chute au fond des gouffres inconnus ! 12
Le faste de ce prêtre, ô pauvres, représente 12
170 Ce que vous n'avez plus, votre vie innocente, 12
Le loyer du logis, le tison du foyer, 12
La dignité du cœur qui ne veut pas ployer, 12
Le travail qui s'accroît par l'épargne qui monte, 12
Votre joie, et l'honneur des femmes, et ta honte, 12
175 Prêtre ! — Rends ces trésors aux pauvres ! Rends-les tous ! 12
Escarboucles chez eux, immondices chez nous ! 12
Quoi ! tandis que là-haut l'immense Éternel pense ; 12
Tandis que sans fatigue et sans fin il dépense 12
La lumière, et maintient les soleils au complet, 12
180 Pour que tout marche et vive, et pour prouver qu'il est ; 12
Tandis que dans cette ombre où court le météore, 12
Il nous regarde avec ses prunelles d'aurore ; 12
Tandis qu'il met au monde énorme un tel ciment 12
Que rien ne s'est défait dans le bleu firmament 12
185 Le jour où dans le ciel que d'autres cieux pondèrent, 12
Les formidables vents démuselés grondèrent ; 12
Tandis qu'il fait rôder plus d'astres dans les cieux, 12
Plus d'éclairs, plus de voix, plus de bruits, plus de feux, 12
Plus de prodiges, noirs ou sereins, sur les grèves, 12
190 Sur les monts, dans les bois, que l'homme n'a de rêves ; 12
Tandis qu'il est cet être inconcevable-là. 12
Nous prêtres, nous vieillards, drapés d'un falbala, 12
Plus chargés de bijoux que des filles publiques, 12
Tournant vers les faux biens nos extases obliques, 12
195 Tandis que lui, celui qui ne prend ni ne vend, 12
Lui le sombre Seigneur de la foudre, est vivant, 12
Nous, sous quelque portail d'église ou d'abbaye, 12
Nous offrons et montrons à la foule ébahie, 12
Sous la pourpre d'un dais et les plis d'un camail, 12
200 Un petit bon Dieu rose avec des yeux d'émail ! 12
Un Jésus de carton ! un Éternel de cire ! 12
On le promène, on chante, on prêche, on le fait luire, 12
En marchant doucement de crainte qu'un cahot, 12
En secouant l'autel, ne casse le Très-Haut ! 12
205 Chaque temple a son saint qu'il rente et divinise. 12
Tandis que le monceau des hommes agonise 12
Et que la haine couve en d'âpres, cœurs grondants, 12
Tandis que la famine aux effroyables dents 12
Dévore l'atelier, le grenier, la chaumière, 12
210 Nous étalons, avec des effets de lumière, 12
Des bonshommes de bois au fond d'un corridor, 12
Brodés d'or, cousus d'or, chaussés d'or, coiffes d'or ; 12
Nous avons des saints-Jeans et des saintes-Maries 12
Que nous emmaillotons dans des verroteries ! 12
215 Nous dépensons Golconde à vêtir le néant. 12
Et, pendant ce temps-là, le vice est un géant. 12
Et le lupanar s'ouvre, affreux bagne des vierges ! 12
Et je vous le répète, allumez tous vos cierges, 12
Faites le tour du temple en file, deux à deux, 12
220 Vous n'empêcherez pas que cela soit hideux ! 12
Oui, pendant ce temps-là, parce qu'il faut qu'on mange, 12
Parce que votre luxe a pris son pain, un ange, 12
Une âme, une innocence entrera dans la nuit ! 12
Pour vêtir de brocard l'idole qui reluit, 12
225 Les colombes du ciel deviendront des orfraies ! 12
Oui, des femmes de chair et d'os, des femmes vraies, 12
Honnêtes, fleurs d'amour et lys de chasteté, 12
Paîront de leur pudeur et de leur nudité, 12
De toutes leurs vertus mortes et dissipées, 12
230 Votre imbécillité d'habiller des poupées ! 12
Entendez-vous cela ! Comprenez-vous cela ! 12
Trouvez-vous que je parle assez haut ! Dieu parla 12
Jadis de cette sorte aux songeurs sur les cimes ; 12
Et nous quand sur l'autel, pensifs, nous nous assîmes, 12
235 Prêtres, ce n'était pas pour être des démons. 12
O mes frères, aimons, aimons, aimons, aimons ! 12
Prêtres, la croix de bois et la robe de bure, 12
Le front haut chez les rois, et pas d'autre courbure 12
Que le fléchissement des âmes devant Dieu ! 12
240 Quoi ! les rois sont la roue et vous êtes l'essieu ! 12
Le peuple est sous vos pieds, parce qu'il est la base, 12
Et vous faites rouler sur lui ce qui l'écrase ! 12
Sachez que vos grandeurs sont des chutes ! Sachez 12
Que le fourmillement lugubre des péchés, 12
245 O noirs vendeurs du temple, emplit votre opulence 12
Et que Jésus, ayant au flanc le coup de lance, 12
S'est enfui, se voilant la face, n'ayant pu 12
Voir le peuple affamé sous le prêtre repu ! 12
Ne pouvant voir cela, Christ a dû disparaître ! 12
250 Il s'en va. Car pour lui les diamants du prêtre 12
Ont la même lueur que les yeux du chacal. 12
O froc de bure, ô saint haillon pontifical, 12
Sois ma splendeur. Je sens rentrer sous cette robe 12
L'âme que le manteau de pourpre nous dérobe ; 12
255 Je revis. Du linceul le prêtre est bien vêtu. 12
Il devient sous la bure exemple, honneur, vertu, 12
Serviteur de qui souffre et juge de qui règne ; 12
Comme il est faible, il faut que le tyran le craigne ; 12
Car les faibles sont pleins de la force de Dieu. 12
260 Sa robe noire passe à toute heure, en tout lieu, 12
Parmi les deuils, les maux, les fléaux, les désastres, 12
Et quand il la secoue il en tombe des astres ! 12
Il en tombe le vrai, le bien, le beau, le grand ! 12
Prêtres, votre richesse est un crime flagrant ! 12
265 Vos cœurs sont-ils méchants ? Non, vos têtes sont dures. 12
Frères, j'avais aussi sur moi ce tas d'ordures, 12
Des perles, des onyx, des saphirs, des rubis. 12
Oui, j'en avais sur moi, partout, sur mes habits, 12
Sur mon âme ; mais j'ai vidé cela bien vite 12
Chez les pauvres.
LE PATRIARCHE
270 Seigneur et docteur, grand lévite,
Pape sublime, évêque illustre et souverain, 12
Les tables de la loi sont un livre d'airain ; 12
Nul n'y peut rien changer, pas même toi, mon père. 12
UN ÉVÊQUE
Il faut que l'homme souffre afin que Dieu prospère ; 12
275 L'or du temple éblouit le pauvre utilement. 12
Il faut la perle au dogme et l'astre au firmament ; 12
Il faut que les vivants, foules, essaims mêlées, 12
Volent à la lueur des mitres constellées ; 12
Cette clarté leur est nécessaire en leur nuit. 12
280 Le temple opulent sert et l'autel pauvre nuit. 12
Il sied que le pasteur comme un soleil se lève. 12
AUTRE ÉVÊQUE
Parlons des rois avec précaution ; leur glaive 12
Jette à peu près la même ombre que notre croix ; 12
Le temple a Dieu pour base et pour cime les rois ; 12
Dieu croule si les rois tombent.
AUTRE ÉVÊQUE
285 La foule est faite
Pour le maître, qu'il soit soldat, juge ou prophète ; 12
Le prêtre est le premier des maîtres ; le second 12
C'est le roi.
AUTRE ÉVÊQUE
Le soc dur fait le sillon fécond ;
Oui, déchirons ! Ainsi l'on sème, ainsi l'on fonde ; 12
290 Et l'épi sera beau si la plaie est profonde. 12
AUTRE ÉVÊQUE
Frère, Dieu n'a jamais voulu qu'on le comprît. 12
AUTRE ÉVÊQUE
Le royaume des cieux est aux pauvres d'esprit ; 12
Donc peu d'écoles, point de science, un seul livre. 12
AUTRE ÉVÊQUE
Les peuples ont pour loi d'être en bas et de suivre ; 12
295 Et leur ascension est faite quand vers nous. 12
Ils montent les degrés dès temples à genoux, 12
AUTRE ÉVÊQUE
La pensée en dehors du dogme est de l'ivraie. 12
C'est la justice juste et la vérité vraie 12
Que j'affirme. Anathème à l'homme révolté ! 12
AUTRE ÉVÊQUE
300 Nous avons dans nos mains la terrible clarté. 12
Il faut que la lumière éclaire, ou qu'elle brûle. 12
Le prêtre est infidèle à son Dieu s'il recule 12
Et si, devant l'impie, il hésite à pencher 12
Le flambeau jusqu'au tas de paille du bûcher. 12
LE PATRIARCHE
305 Ce qu'on nomme aujourd'hui liberté, c'est l'abîme. 12
Et c'est là ce que dit l'effrayant Kéroubime 12
Debout sur le mur noir de l'infini. Croyez. 12
Soyez des cœurs tremblants, soyez des fronts ployés, 12
Obéissez. Le prince est un prêtre ; le prêtre 12
310 Est un prince. Vouloir comprendre, vouloir être, 12
Vouloir penser, c'est faire obstacle à Dieu. Vivants 12
Qui sous l'énormité redoutable des vents 12
Résistez, vous avez des âmes insensées. 12
Dieu maudit vos efforts, vos travaux, vos pensées, 12
315 Et votre raison, sœur de l'antique péché, 12
Et votre vain progrès, sinistrement léché 12
Par la langue de feu qui sort du lac de soufre. 12
Voilà les vérités qui jaillirent du gouffre 12
Le jour où sur l'Horeb le tonnerre a brillé. 12
LE PAPE
320 Frères, figurez-vous, — je me suis réveillé ! 12
LES ÉVÊQUES
Qu'entendez-vous par là ?
LE PATRIARCHE
Qu'est-ce que tu médites ?
LE PAPE
Je ne crois plus un mot de tout ce que vous dites ! 12
LE PATRIARCHE
Quoi ! vous seriez l'horrible et vivant démenti 12
De vos prédécesseurs glorieux ?
LE PAPE
J'ai senti
325 Un mécontentement inquiétant dans l'ombre. 12
LE PATRIARCHE
Le pilote aveuglé, c'est le vaisseau qui sombre. 12
Ne changez pas de route ! O Père, n'allez pas 12
Du côté de la nuit, du côté du trépas ! 12
LE PAPE
Je marche vers la vie.
LE PATRIARCHE
Il faudra rendre compte.
LE PAPE
Certes !
LE PATRIARCHE
Songez au ciel. Vous en tombez.
LE PAPE
330 J'y monte.
LES ÉVÊQUES
O sombre cécité !
LE PAPE
Je vous dis que je vois.
J'étais sur un sommet doré, sur un pavois, 12
Dans l'encens, dans les chants et les épithalames. 12
J'ai senti tout à coup l'immense poids des âmes ; 12
335 Et je suis descendu, sachant que je montais. 12
Le dogme n'a d'appuis, l'Église n'a d'étais 12
Que nos fragilités ; tâchons qu'elles soient pures. 12
Oui, j'ai vu les douleurs, oui, j'ai vu les souillures, 12
J'ai vu le bien gisant, j'ai vu le mal debout, 12
340 Et j'ai songé. Ciel noir ! les crimes sont partout, 12
Mais il n'est qu'un coupable, et c'est le responsable. 12
J'ai vu les maux nombreux plus que les grains de sable, 12
Les forfaits plus épais que les branches des bois, 12
L'infâme orgie en rut, l'innocence aux abois, 12
345 Et j'ai dit en moi-même, en voyant les deux mondes 12
Pleins de brocanteurs vils et de vendeurs immondes : 12
Ce prêtre sur l'argent hideusement penché, 12
Ce juge qui chuchote à voix basse un marché, 12
Cette fille à l'œil fou, cette bohémienne, 12
350 Qu'est-ce qu'ils vendent là ? Leur âme ? Non, la mienne ! 12
Alors j'ai pris la fuite, épouvanté, voulant 12
Être bon, m'arracher tous ces crimes du flanc, 12
Guider, sauver, guérir, supprimer les Sodomes, 12
Bénir, et rendre enfin Dieu respirable aux hommes ! 12
LE PATRIARCHE
Vous avez un devoir, foudroyer.
LE PAPE
355 Avertir.
LE PATRIARCHE
Songez au Dieu vengeur.
LE PAPE
Je songe au Christ martyr.
LE PATRIARCHE
Roi…
LE PAPE
La chaire changée en trône est impudique.
Pauvre et nu, Jésus règne ; et, roi, le prêtre abdique. 12
Prêtre, j'ai le roseau de Jésus à la main ; 12
360 Roi, je n'ai plus qu'un sceptre ; et pour le genre humain 12
Je ne suis plus qu'un prince obéissant aux princes, 12
Concédant, consentant, tremblant pour mes provinces, 12
Courtisan du plus fort, à céder toujours prêt ; 12
Jamais la royauté du prêtre n'apparaît 12
365 Sans une transparence affreuse d'esclavage. 12
Je ne fais point partie, ô prêtres, du ravage, 12
Du supplice et du meurtre, et ne veux point m'asseoir 12
Parmi ces rois sur qui tombe l'éternel soir. 12
J'aime ! je sens en moi la grande clarté vivre. 12
LES ÉVÊQUES
370 Guide-nous, mais suis-nous. Pour guider, il faut suivre. 12
LE PAPE
Jamais. Je suis sorti, plein d'horreur et d'effroi, 12
De toute votre nuit ! Quoi ! l'on eût dit de moi : 12
Terre, cet homme avait la garde d'une idée, 12
La plus haute que l'ombre ait jamais possédée, 12
375 Clarté sainte au-dessus du gouffre obscur des cœurs ; 12
En dépit des vents noirs rapidement vainqueurs 12
Et vite évanouis, cet homme était le mage 12
Mystérieux, chargé du mutuel hommage 12
Que se doivent les cieux et les âmes, rapport 12
380 Et lien entre un mât frissonnant et le port, 12
Échange de lueur entre l'abîme et l'homme. 12
Quoi ! parce que de vains simulacres qu'on nomme 12
Princes, maîtres, seigneurs, chefs, souverains, césars, 12
Parce que de faux dieux, composés de hasards, 12
385 Ou du hasard de vaincre ou du hasard de naître, 12
Parce que des puissants que le néant pénètre 12
Sont venus le trouver, lui le veilleur qui n'a 12
Ici-bas d'autre droit que de dire Hosanna 12
Et de montrer du doigt là-haut l'âme éternelle, 12
390 Lui qui doit, fils de l'aube, ému, vivant en elle, 12
Toujours songer, pleurant sur le mal châtié, 12
Au moyen de changer la lumière en pitié ; 12
Quoi ! parce que ces rois, quoi ! parce que ces ombres, 12
Parce que ces faiseurs de cendre et de décombres 12
395 Sont venus à sa porte, et durs, fiers, belliqueux, 12
Ont dit : sois avec nous ! — cet homme est avec eux ! 12
Quoi ! cet homme, le monde étant dans les ténèbres, 12
Offrait dans son bazar aux acheteurs funèbres, 12
O terreur ! le rayon qui blanchissait le ciel ! 12
400 Lui l'éclaireur suprême et providentiel, 12
IL bénissait l'affreuse éruption des laves ! 12
Cet homme s'était fait marchand de ces esclaves, 12
La vérité, l'honneur, la justice et la loi, 12
Prenait le droit au peuple et le donnait au roi ; 12
405 Priait pour ce qui tue et contre ce qui tombe ! 12
Cet homme a fait lancer la foudre à la colombe ! 12
Il a fait de Jésus le valet d'Attila ! 12
Quoi ! l'on eût dit de moi : Regardez ; le voilà ! 12
Il avait en dépôt notre âme, il l'a perdue ! 12
410 L'aurore se levait, cet homme l'a vendue ! 12
Il a prostitué l'étoile du matin ! 12
Non ! non !
LE PATRIARCHE
Vous blasphémez, Pape !
LE PAPE
Prêtre hautain,
Sois humble ! Autel doré, dédore-toi, rayonne ! 12
Plaie au flanc du Christ, bouche auguste qu'on bâillonne 12
415 Ouvre tes lèvres, parle, et dis la vérité ! 12
Rentre en ton patrimoine, homme déshérité. 12
Femmes, enfants, ayez des droits. Peuple, aie une âme. 12
À moi, prêtres ! Prêchez le vrai que je proclame, 12
Soyez simples de cœur. Soyez, sous le ciel bleu, 12
420 Près des petits enfants pour être près de Dieu. 12
Plus le pontife est doux, plus le temple est sublime. 12
Tout s'évanouit et s'efface autour du pape.
Quoi ! plus de prêtres ! Quoi ! plus de temple ! — L'abîme. 12
Tout disparaît. Jadis Babel ainsi croula. 12
Me voilà seul ! Plus rien que l'ombre.
UNE VOIX AU FOND DE L'INFINI
Je suis là.
UN GRENIER
L'hiver. Un grabat.
UN PAUVRE. Sa famille près de lui.
LE PAUVRE
Je ne crois pas en Dieu.
LE PAPE
entrant.
425 Tu dois avoir faim. Mange.
Il partage son pain et en donne la moitié au pauvre.
LE PAUVRE
Et mon enfant ?
LE PAPE
Prends tout.
Il donne à l'enfant le reste de son pain.
L'ENFANT
mangeant.
C'est bon.
LE PAPE
au pauvre.
L'enfant, c'est l'ange.
Laisse-moi le bénir.
LE PAUVRE
Fais ce que tu voudras.
LE PAPE
vidant une bourse sur le grabat.
Tiens, voici de l'argent pour t'acheter des draps. 12
LE PAUVRE
Et du bois.
LE PAPE
Et de quoi vêtir l'enfant, la mère,
430 Et toi, mon frère. Hélas ! cette vie est amère. 12
Je te procurerai du travail. Ces grands froids 12
Sont durs. Et maintenant parlons de Dieu.
LE PAUVRE
J'y crois.
LE PAPE AUX FOULES
À travers la douleur, l'angoisse, les alarmes, 12
Du fond des nuits, du fond des maux, du fond des larmes, 12
435 Venez à moi vous tous qui tremblez, qui souffrez, 12
Qui râlez, qui rampez, qui saignez, qui pleurez, 12
Les damnés, les vaincus, les gueux, les incurables, 12
Venez, venez, venez, venez, ô misérables ! 12
Je suis à vous, je suis l'un de vous, et je sens 12
440 Dans mes os votre fièvre immense, agonisants ! 12
Venez, déguenillés, réprouvés, multitude ! 12
Je suis le serviteur de votre servitude, 12
Et de votre cachot je suis le prisonnier ; 12
Le premier chez les rois, parmi vous.le dernier. 12
445 Votre part est la bonne, elle est la plus auguste ; 12
Le riche a beau bien faire, être sage, être juste ; 12
Quiconque a les pieds nus marche plus près de Dieu. 12
Le ciel noir montre plus d'astres que le ciel bleu. 12
Je vous aime, et n'ai pas d'autre raison pour être, 12
450 Fils, le prêtre du juge et le juge du prêtre. 12
Je ne suis qu'un pauvre homme appartenant à tous. 12
O souffrants, aidez-moi. Je tâche d'être doux. 12
Venez, partageons tout, le froid, la faim, les jeûnes. 12
Je suis vieux chez les vieux et jeune avec les jeunes ; 12
455 Je suis l'aïeul du père et l'enfant des petits ; 12
J'ai tous les âges ; fils, j'ai tous les appétits, 12
Toutes les volontés, toutes les convoitises ; 12
Je suis, comme l'agneau qu'attirent les cytises, 12
Attiré par les deuils, les dénûments, les pleurs ; 12
460 Je veux avoir ma part de toutes les douleurs ; 12
J'ai droit à tous les maux qu'on souffre sur la terre ; 12
Je suis l'universel étant le solitaire ; 12
O pauvres, donnez-moi tout ce que vous avez, 12
Vos jours sans pain, vos toits sans feu, vos durs pavés, 12
465 Vos fumiers, vos grabats tremblants, vos meurtrissures, 12
Et le ciel étoilé, plafond de vos masures. 12
O vous qui n'avez rien, donnez-moi tout. Venez, 12
Tous les malheureux ! nus, sanglants, blessés, traînés 12
Par tous les désespoirs et sur toutes les claies ; 12
470 Apportez-moi vos fiels, apportez-moi vos plaies, 12
Afin qu'à votre nuit je mêle un peu de jour, 12
Et que je fasse avec vos haines de l'amour. 12
Venez, haillons, sanglots, plaintes, colères, âmes ! 12
Fils, le malheur et moi, partout où nous passâmes 12
475 Nous avons tous les deux, chacun à sa façon, 12
Prouvé, lui qu'il a tort, et moi qu'il a raison. 12
Il a tort, car on pleure, et raison, car on aime. 12
Le malheur a cela de tendre et de suprême 12
Qu'on aime d'autant plus que l'on a plus souffert ; 12
480 Le malheur c'est le ciel obscurément offert. 12
Vous avez les douleurs et moi j'ai les dictâmes. 12
Je suis l'ambitieux qui veut prendre les âmes ; 12
N'avoir rien secouru, c'est là la pauvreté ; 12
On aura des besoins devant l'éternité ; 12
485 Il serait imprudent, à l'heure où le soir tombe, 12
De s'offrir à celui qu'on trouve dans la tombe 12
Sans avoir fait d'épargne et rien mis de côté. 12
Souffrants, apportez-moi votre calamité. 12
Je suis l'aide, l'ami, l'appui. Venez, misères, 12
490 Lèpres, infirmités, indigences, ulcères, 12
Quiconque est hors l'espoir, quiconque est hors la loi. 12
La douleur m'appartient. J'appelle autour de moi 12
L'esprit troublé, le cœur saignant, l'âme qui sombre ; 12
Et je veux, entouré des détresses sans nombre, 12
495 Qui naissent sur la terre à toute heure, en tout lieu, 12
Arriver avec tous les pauvres devant Dieu ! 12
Venez, vous qu'on maudit ! Venez, vous qu'on méprise ! 12
Tous les misérables viennent autour de lui de tous côtés.
UN PASSANT
Qu'est-ce que tu fais là, vieillard ?
LE PAPE
Je thésaurise.
L'INFAILLIBILITÉ
Ah ! je suis l'Infaillible !
Ah ! c'est moi qui vois clair !
Et Dieu ?
500 Dieu ne sait pas ce que savait Kepler,
Ce que trouva Newton, ce qu'a vu Galilée ; 12
Il est dépaysé sous la voûte étoilée ; 12
Il a tous les défauts possibles ; dur, cassant, 12
Jaloux, inexorable, irascible ; il consent 12
505 À l'arrestation du soleil par un homme ; 12
Il damne l'univers pour le vol d'une pomme ; 12
Il foudroie au hasard, il châtie à côté ; 12
Il tue en bloc ; il met le diable en liberté ; 12
Molière le ferait sermonner par Alceste ; 12
510 Il extermine un bouge, il épargne l'inceste, 12
Détruit Sodome, et donne à Loth un exeat ; 12
Il double d'un enfer son paradis béat ; 12
Il ne sait ce qu'il fait, tant il est susceptible, 12
Et tâche de brûler notre âme incombustible 12
515 Dans un monstrueux lac de bitume et de poix. 12
Ah ! vous avez voulu lui mettre un contre-poids ! 12
Oui, vous avez voulu corriger, j'imagine, 12
Ce Dieu qui du chaos tire son origine, 12
Qui maudit, sans savoir pourquoi, le genre humain, 12
520 Et qui marche en tâtant du bâton le chemin ; 12
Il a, certes, besoin d'un guide en sa nuit noire, 12
Et, grâce au compagnon qui l'aide, on aime à croire, 12
Malgré Pascal doutant et Voltaire niant, 12
Que Dieu peut-être aura moins d'inconvénient. 12
525 Donc son chien est le pape, et je comprends qu'en somme, 12
L'aveugle étant le dieu, le clairvoyant soit l'homme. 12
Dérision lugubre ! Insulte au firmament ! 12
Donc le pape jamais ne chancelle et ne ment ; 12
Donc jamais une erreur ne tombe de sa bouche ; 12
530 L'infaillibilité formidable et farouche 12
Luit dans son œil suprême…
O nuit ! pardonne-leur !
Être un homme, un jouet quelconque du malheur, 12
Moins libre que le vent, plus frêle que la plante, 12
Le passant inquiet de la terre tremblante, 12
535 Une agitation qui frissonne et qui fuit, 12
Un peu d'ombre essayant de faire un peu de bruit, 12
Être cela ! sentir derrière soi l'abîme 12
Et devant soi le gouffre, et se croire la cime ! 12
Avoir l'affreux squelette en ce vil corps charnel, 12
540 Et dire à Dieu : Je suis ton égal. Éternel ! 12
Je suis l'autorité, je suis la certitude, 12
Et mon isolement, Dieu, vaut ta solitude ; 12
Le pape est avec toi le seul être debout 12
Sur cet immense Rien que l'homme appelle Tout ; 12
545 Tout n'est rien devant moi comme devant toi, Maître. 12
Je sais la fin, je sais le but, je connais l'Être ; 12
Je te tiens, ma clef t'ouvre, et je suis ton sondeur, 12
Dieu sombre, et jusqu'au fond je vois ta profondeur. 12
Dans l'obscur univers je suis le seul lucide ; 12
550 Je ne puis me tromper ; et ce que je décide 12
T'oblige ; et quand j'ai dit : Voici la vérité ! 12
Tout est dit. Quand je veux que tu sois irrité, 12
Quand j'ai dit la loi, l'ordre, et le point où commence 12
Ta colère, et l'endroit où finit ta clémence, 12
555 Tu dois courber ton front énorme dans les cieux ! 12
Le grand char étoilé tourne sur deux essieux, 12
Dieu, le Pape.
O soleils ! astres ! gouffres des êtres !
Que dites-vous du pape infaillible, et des prêtres, 12
Des conciles mettant le pied sur vos hauteurs, 12
560 Que dis-tu de ce tas de sinistres docteurs, 12
Ciel terrible, imposant leur néant au mystère, 12
Et tâchant d'ajouter à Dieu le ver de terre ! 12
EN VOYANT PASSER DES BREBIS TONDUES
Les sombres vents du soir soufflent de tous côtés. 12
O brebis, ô troupeaux, ô peuples, grelottez. 12
565 Où donc est votre laine, ô marcheurs lamentables ? 12
Allez loin de vos toits et loin de vos étables, 12
Sous le givre et la pluie, allez, allez, allez ! 12
Où donc est votre laine, ô pauvres accablés, 12
Vous qui nourrissez tout, hélas ! et qu'on affame ? 12
570 Peuple, où donc sont tes droits ? Homme, où donc est ton âme ? 12
O laboureur, où donc est ta gerbe ? O maçon, 12
Constructeur, bâtisseur, où donc est ta maison ? 12
Où donc sont les esprits mis sous votre tutelle, 12
Docteurs ? Et ta pudeur, ô femme, où donc est-elle ? 12
575 Hélas ! j'entends sonner les clairons triomphants ; 12
Vierge, où sont tes amours ? mère, où sont tes enfants ? 12
Grelottez, ô bétail, dépouillé, pauvres êtres ! 12
Votre laine n'est pas à vous, elle est aux maîtres, 12
Elle est à ceux pour qui le chien aboie, à ceux 12
580 Qui sont les rois, les forts, les grands, les paresseux ! 12
À ceux qui pour servante ont votre destinée ! 12
C'est à vous cependant que Dieu l'avait donnée, 12
Cette laine sacrée, et dans la profondeur 12
Dieu maudit les ciseaux lugubres du tondeur ! 12
585 Ah ! malheureux en proie aux heureux ! Honte aux maîtres ! 12
Où donc sont ces bergers qu'on appelle les prêtres ? 12
Nul ne te défend, peuple, ô troupeau qui m'es cher, 12
Et l'on te prend ta laine en attendant ta chair. 12
La nuit vient.
Ils courent par moments ; les coups inexorables 12
590 Pleuvent, et l'on croit voir, avec ces misérables, 12
La vérité, le droit, la raison, l'équité, 12
Tout ce qu'on a de juste au fond du cœur, fouetté ! 12
Où donc la conduit-on, cette foule hagarde, 12
Tremblante sous le soir terrible ? qui la garde ? 12
595 Comme ils sont harcelés, effrayés, éperdus ! 12
Où vont ces sombres pas par derrière mordus ? 12
Ils courent… — on dirait le passage d'un songe. 12
La bise souffle et semble un serpent qui s'allonge. 12
Est-ce que le mystère est lui-même contre eux ? 12
600 Pourquoi tant d'aquilons sur tant de malheureux ? 12
S'il est des anges noirs volant dans ces ténèbres, 12
Je les implore ! ô vents, grâce ! ô plafonds funèbres, 12
Ayez pitié ! l'on souffre. Ah ! que d'infortunés ! 12
Qui donc s'acharne ainsi sur les pauvres ? Donnez 12
605 D'autres ordres, esprits de l'ombre, à la tempête ! 12
Dans l'échevèlement sauvage du prophète 12
Le vent peut se jouer, car le prophète est fort ; 12
Mais soufflant sur le faible en pleurs, le ciel a tort. 12
Oui, je te donne tort, ciel profond qui m'écoutes ; 12
610 C'est trop d'ombre. Oh ! pitié ! Des deux côtés des routes 12
Tout est brume, erreur, doute ; et le brouillard trompeur 12
Les glace et les aveugle ; ils ont froid, ils ont peur. 12
L'obscurité redouble.
De qui ce vent farouche est-il donc le ministre ? 12
Allez, disparaissez à l'horizon sinistre. 12
615 Passe, ô blême troupeau dans la brume décru. 12
Que deviennent-ils donc quand ils ont disparu ? 12
Que deviennent-ils donc quand ils sont invisibles ? 12
Ils tombent dans ce gouffre obscur : tous les possibles ! 12
Ils s'en vont, ils s'en vont, ils s'en vont, nus, épars 12
620 Sur des pentes sans but croulant de toutes parts. 12
O pâle foule en fuite ! ô noirs troupeaux en marche ! 12
Perdus dans l'immense ombre où jadis flottait l'arche ! 12
Nul deuil n'est comparable à l'affreux sort de ceux 12
Qui s'en vont ne laissant que du rêve après eux. 12
625 Le destin, composé d'énigmes nécessaires, 12
Hélas ! met au delà de toutes les misères, 12
De tout ce qui gémit, saigne et s'évanouit, 12
Le morne effacement des errants dans la nuit ! 12
PENSIF DEVANT LE DESTIN
Tout ce qui pense, vit, marche, respire, passe, 12
630 Va, vient, palpite, naît et meurt, demande grâce. 12
Il n'est pas sur la terre un homme qui n'ait fait 12
Une faute ; et le sort des neveux de Japhet 12
C'est de souffrir ; chacun verse une larme amère, 12
La mère sur l'enfant et l'enfant sur la mère. 12
635 Pourquoi tant de détresse et de calamité ? 12
Pourquoi le grondement du gouffre illimité ? 12
Pourquoi le côté noir du dogme et de la bible ? 12
Parce que nous péchons. De là l'ombre terrible, 12
Et les religions toutes pleines d'enfers. 12
640 Tous les abîmes sont à notre marche offerts. 12
Terreur ! dit Éleusis. Damnation ! dit Rome. 12
De la bête de proie à la bête de somme, 12
Du soldat au forçat, du serf à l'empereur, 12
Tout est vengeance, effroi, haine, morsure, horreur. 12
645 L'être créé n'a droit qu'à des destins funèbres ; 12
La menace lui tend le poing dans les ténèbres. 12
Avance, c'est la nuit. Recule, c'est l'enfer. 12
Homme, il est Prométhée ; ange, il est Lucifer. 12
ON CONSTRUIT UNE ÉGLISE
L'ARCHEVÊQUE
Hommes qui bâtissez une église, il importe 12
650 D'en faire magnifique et superbe la porte 12
Pour que la foule y puisse entrer facilement ; 12
Employez-y le bronze et l'or, le diamant, 12
L'onyx, le saphir ; rien n'est trop beau pour l'église ; 12
Que la façade soit auguste, et qu'on y lise 12
655 Ce nom, Jéhovah, comme à travers des éclairs ; 12
Que le clocher répande un hymne dans les airs 12
Et que son tremblement se communique aux âmes ; 12
Et que le peuple sente, enfants, vieillards et femmes, 12
En regardant ce temple avec un saint frisson, 12
660 Qu'on a sur le seigneur mesuré la maison 12
Et la grandeur du lieu sur la grandeur de l'hôte ; 12
Que la crypte soit vaste et que la nef soit haute ; 12
Que l'homme entende là passer confusément 12
La faute et le pardon, divin chuchotement ; 12
665 Que le saint-livre ouvert soit sur la sainte-table ; 12
Que l'évêque ait son trône et Jésus son étable ; 12
Que les, prêtres, par qui vos torts sont expiés, 12
Aient une natte épaisse et tiède sous leurs pieds ; 12
Que l'âme croie, en l'ombre où flottent les saints-voiles, 12
670 Entrevoir une obscure éclosion d'étoiles 12
Comme au fond des forêts dans la vapeur des soirs ; 12
Qu'on y sente osciller les vagues encensoirs ; 12
Que l'autel, entouré d'un solennel murmure, 12
Ait la splendeur sinistre et sombre d'une armure, 12
675 Car le céleste esprit combat l'esprit charnel ; 12
Et nul ne doit sans crainte approcher l'Éternel ; 12
Pas d'ornement grossier, pas de matières viles ; 12
Quand Salomon disait aux bâtisseurs de villes : 12
— Bâtissez sur la roche et non sur le limon — 12
680 Hiram, maçon du temple, écoutait Salomon ; 12
Donc obéissez-moi. Faites un fier mélange 12
Du Raphaël pudique et du grand Michel-Ange ; 12
Peignez sur la muraille Adam qu'Ève tenta, 12
Moïse au Sinaï, Jésus au Golgotha, 12
685 Les Géants terrassés malgré leur haute taille, 12
Job, et l'effarement des chevaux de bataille ; 12
Tout ce qui foudroya, tout ce qui rayonna, 12
Festin de Balthasar et noces de Cana, 12
Doit faire flamboyer et resplendir les fresques ; 12
690 Mariez l'arc lombard aux ogives moresques ; 12
Que la statue alterne avec les noirs tableaux ; 12
Une église doit être un large espace, enclos 12
De bons murs, préservé des vents et des tempêtes ; 12
Prêtres, emplissez-la de fleurs les jours de fêtes ; 12
695 Tout ce qui vient du ciel, l'église le contient ; 12
Un roi qui la voudrait orner comme il convient, 12
Épuiserait Golconde et n'y pourrait suffire ; 12
Prodiguez-y l'airain, le jaspe et le porphyre 12
Que n'atteint pas la rouille et né mord pas le ver. 12
LE PAPE
700 Et mettez-y des lits pour les pauvres l'hiver. 12
EN VOYANT UNE NOURRICE
Mère, je te bénis. La nourrice est sacrée. 12
Après l'éternité la maternité crée ; 12
Ève s'ajoute à Dieu pour compléter Japhet ; 12
Et l'homme, composé d'âme et de chair, est fait 12
705 Du rayon de l'abîme et du lait de la femme. 12
L'ineffable empyrée est une vaste trame 12
De souffles, de beauté, de splendeur et d'amour. 12
Qu'est-ce que la nature ? Un gouffre, un carrefour, 12
Une rencontre ; et tout vient pêle-mêle éclore. 12
710 Ce que la femme donne à l'enfant, c'est l'aurore ; 12
Il coule autant de jour d'un sein que d'un soleil ; 12
D'une sombre mamelle au fond du ciel vermeil 12
Les étoiles sont l'une après l'autre tombées ; 12
Les Pléiades en haut, en bas les Machabées, 12
715 Sont des groupes pareils ; toute clarté descend 12
Et devient notre esprit et devient notre sang. 12
Et dans tous les berceaux l'infini recommence ; 12
Et l'Éternel emploie à la même œuvre immense, 12
En ce monde où l'enfant sans l'astre est incomplet, 12
720 La goutte de lumière et la goutte de lait. 12
O bénédiction, sois à jamais sur l'homme ! 12
Rêveur.
Et pourtant, ô vivants, quand je songe à Sodome, 12
À Carthage, à Moloch, à tous vos noirs exploits, 12
À tous les attentats faits par toutes vos lois, 12
725 Je frissonne. Dracon est pire que Tibère. 12
L'aréopage est l'antre où Satan délibère. 12
Vous avez eu raison d'aveugler la Thémis 12
Par qui tant de forfaits stupides sont commis, 12
Car souvent, en voyant le mal, la violence 12
730 L'emporter, elle aurait horreur de sa balance. 12
Il arrive parfois que les lois d'ici-bas, 12
Lois qui frappent Jésus et sauvent Barabbas, 12
Lois dont l'étrange glaive au hasard tranche et tombe, 12
Du cri d'un nouveau-né font l'appel de la tombe. 12
735 Oui, l'épouvante en est venue à ce degré. 12
Un jour, je m'en souviens, — quand j'étais égaré 12
Jusqu'à me croire roi, moi qui suis ton esclave, 12
O devoir ! — sous les murs d'un cachot, froide cave, 12
J'ai vu, c'était à Rome, une femme attendant. 12
740 On l'avait condamnée au gibet, et pendant 12
Qu'on dressait la potence et qu'on creusait là fosse, 12
Cette femme avait dit au juge : Je suis grosse. 12
Et le juge avait dit : Soit. Alors, attendons. 12
— Oh ! si je ne sentais le ciel plein de pardons, 12
745 Comme je frémirais pour l'homme et pour son âme ! — 12
Qu'est-ce qu'on attendait ? ceci : que cette femme 12
Donnât la vie, afin de lui donner la mort. 12
Ainsi les hommes font dans l'énigme du sort 12
Pénétrer leurs décrets sans que leur raison tremble ! 12
750 La mort, la vie, étaient sur cette femme ensemble. 12
Leur lueur éclairait le cachot étouffant ; 12
Horreur ! à chaque pas de l'une vers l'enfant 12
L'autre faisait un pas vers la mère, et, dans l'ombre, 12
Vers elle, l'un riant et charmant, l'autre sombre, 12
755 Et chacun apportant la clef de la prison, 12
Deux fantômes venaient du fond de l'horizon. 12
Être en proie à la loi ! Quel deuil ! — Mon cœur se serre. 12
Ainsi le code humain peut finir, ô misère ! 12
Par avoir la figure obscure d'un bandit ! 12
760 Et l'enfant, si le ciel l'eût fait parler, eût dit : 12
Tu commences, ô loi, par me tuer ma mère. 12
O triste loi sans yeux, dans cette angoisse amère, 12
La malheureuse a beau trembler, frémir, prier, 12
Tu charges son enfant d'être son meurtrier ; 12
765 Son sang tient mon berceau, déjà sombre, encor vide, 12
Et de moi, l'innocent, tu fais un parricide. 12
Tu me fais faire un crime à moi qui ne suis pas. 12
Je nais, je tue. — Hélas ! — La loi prend un compas, 12
Pèse l'urne du mal, la trouve peu remplie, 12
770 Mesure un crime, ajoute un meurtre, multiplie 12
Un attentat par l'autre, un forfait par un deuil, 12
Dans un affreux berceau fait éclore un cercueil, 12
Attend qu'un enfant naisse, ordonne qu'on bâtisse 12
Un tombeau sur sa tête, et dit : C'est la justice ! 12
775 Elle veut, au milieu de ce saint univers, 12
Quand les cieux versent l'aube et sont tout grands ouverts, 12
Devant le jour sans fin, devant l'azur sans voiles, 12
Dans le fourmillement des fleurs et des étoiles, 12
Qu'une mère éperdue ait horreur du moment 12
780 Où son enfant naîtra sous le bleu firmament ! — 12
J'ai vu cela. Si bien que cette misérable 12
Était là, regardait fuir l'heure inexorable, 12
Écoutait dans la nuit le glas dire : Il le faut ! 12
Et sentait dans son sein remuer l'échafaud. 12
UN CHAMP DE BATAILLE
DEUX ARMÉES EN PRÉSENCE
LE PAPE
785 J'ai peur. Je sens ici comme une âme terrible. 12
L'homme est la flèche, ô cieux profonds, l'homme est la cible ! 12
Mais quel est donc le bras qui tend cet arc affreux ? 12
Pourquoi ces hommes-ci s'égorgent-ils entr'eux ? 12
Quoi ! peuple contre peuple ! ô nations trompées ! 12
(S'avançant entre les deux armées.)
790 De quel droit avez-vous les mains pleines d'épées ? 12
Que faites-vous ici ? Qu'est-ce que ces pavois ? 12
Que veulent ces canons ? Hommes que j'entrevois, 12
Dans l'assourdissement des trompettes farouches, 12
Plus forts que des lions et plus vains que des mouches, 12
795 Pour le plaisir de qui vous exterminez-vous ? 12
Tous n'avez qu'un seul droit, c'est de vous aimer tous. 12
Dieu vous ordonne d'être ensemble sur la terre. 12
Dieu, sous sa douce loi, cache un devoir austère ; 12
Comme à l'érable, au chêne, à l'orme, au peuplier, 12
800 Il vous a dit de croître et de multiplier. 12
Aimez-vous. Les palais doivent la paix aux chaumes. 12
O rois, des deux côtés vous voyez des royaumes, 12
Des fleuves, des cités, la terre à partager, 12
Des droits pareils aux loups cherchant à se manger, 12
805 Des trônes se gênant, les clairons, les chimères, 12
La gloire ; et moi je vois dés deux côtés des mères. 12
Je vois des deux côtés des cœurs désespérés. 12
Je vois l'écrasement des sillons et des prés, 12
La lumière à des yeux pleins d'aurore ravie, 12
810 Le deuil, l'ombre, et la fuite affreuse de la vie. 12
Je vois les nations que la mort joue aux dés. 12
Mais qui donc êtes-vous, hommes qui m'entendez ? 12
Quoi ! vous êtes le nombre et vous êtes la force ! 12
Vous êtes la racine et la tige et l'écorce, 12
815 Le feuillage et le fruit de l'arbre universel ; 12
Le désert et le sable, et la mer et le sel 12
Sont à vous ; vous avez toutes les étendues ; 12
Si vous voulez planer, vos ailes éperdues, 12
Hommes, ont l'infini pour s'y précipiter ; 12
820 Vous pouvez rayonner, adorer, enfanter ; 12
Les astres et les vents vous donnent des exemples, 12
Les vents pour vos essors, les astres pour vos temples ; 12
Vous êtes l'ouvrier qui tient tout dans sa main ; 12
Vous êtes le géant de Dieu, le genre humain ; 12
825 Et vous aboutissez à de vils chocs d'armées ! 12
Et le titan se fait le forçat des pygmées ! 12
Vous êtes cela, peuple, et vous faites ceci ! 12
Mais alors l'impossible existe ! Oui, c'est ainsi ! 12
C'est parce que deux rois, deux spectres, deux vampires, 12
830 Parce que deux néants s'arrachent deux empires, 12
Parce que l'un, ce jeune, et l'autre, ce vieillard, 12
Semblent grands à travers on ne sait ruel .brouillard, 12
Étant, le jeune, un fou, le vieux, un imbécile, 12
C'est parce qu'un vain sceptre entre leurs mains oscille 12
835 À tous les tremblements du vice et de l'erreur, 12
C'est parce que ces deux atomes en fureur 12
S'insultent, qu'on entend, ô triste foule humaine, 12
O peuples, sans savoir pourquoi, dans cette plaine 12
Votre stupidité formidable rugir ! 12
840 Vous êtes des pantins que des fils font agir ; 12
On vous met dans la main une lame pointue, 12
Vous ne connaissez pas celui pour qui l'on tue, 12
Vous ne connaissez pas celui que vous tuerez. 12
Est-ce vous qui tuerez ? est-ce vous qui mourrez ? 12
845 Vous l'ignorez. Demain, la mort ouvrant son aile, 12
Vous entrerez dans l'ombre en foule, pêle-mêle, 12
Sans que vous puissiez dire au sépulcre pourquoi. 12
Oui, du moment que c'est décrété par un roi, 12
Par un czar, un porteur quelconque de couronne, 12
850 Sans rien comprendre au bruit menteur qui l'environne, 12
À tâtons, sans Savoir si l'on est un bandit, 12
On n'écoute plus rien ; battez, tambours, c'est dit ; 12
Vite, il faut qu'on se heurte, il faut qu'on se rencontre, 12
Qu'un aveugle soit pour parce qu'un sourd est contre ! 12
855 Vous mourez pour vos rois. Eux, ils ne sont pas là. 12
Et vous avez quitté vos femmes pour cela ! 12
Vous jeunes, vous nombreux et forts, malgré leurs larmes, 12
Vous vous êtes laissés pousser par des gendarmes 12
Aux casernes ainsi qu'un troupeau par des chiens ! 12
860 En guerre ! allez, Prussiens ! allez, Autrichiens ! 12
Ici la schlague, et là le knout. Lauriers, victoire. 12
À grands coups de bâton on vous mène à la gloire. 12
Vous donnez votre force inepte à vos bourreaux 12
Les rois, comme en avant du chiffre les zéros. 12
865 Marchez, frappez, tuez et mourez, bêtes brutes ! 12
Et vos maîtres, pendant vos exécrables luttes, 12
Boivent, mangent, sont gais et hautains ; et, contents, 12
Repus, ont autour d'eux leurs crimes bien portants ; 12
Vous allez être un tas de cadavres dans l'herbe, 12
870 Laissant derrière vous, sous le soleil superbe 12
Et sous l'étonnement des cieux, de vieux parents, 12
Et dans des berceaux, plaints par les nids murmurants, 12
O douleur, des petits aux regards de colombe ! — 12
Eh bien non ! je me mets entre vous et la tombe. 12
875 Je ne veux pas ! Tremblez, c'est moi. Je vous défends 12
De vous assassiner, monstres ! — ô mes enfants ! — 12
Jetez-vous dans les bras les uns des autres, frères ! 12
Quoi ! l'on verrait en vous, dans ces champs funéraires, 12
Léviathan revivre et renaître Python ! 12
880 Hommes, Humanité ! se représente-t-on 12
Les arbres des forêts qui se feraient la guerre, 12
Qui, soudain furieux, eux si calmes naguère, 12
Deviendraient des dragons mêlant leurs bras hideux, 12
Faisant tourbillonner la tempête autour d'eux. 12
885 Et jetant et broyant les fleurs, les plumes blanches, 12
Les nids, dans la bataille effroyable des branches ! 12
Eh bien, sous l'affreux vent soufflant on ne sait d'où, 12
Vous êtes ce chaos prodigieux et fou ! 12
Ah ! vous vous enivrez d'une vanité noire ! 12
890 Vous êtes des vaincus, ô rêveurs de victoire, 12
Vous êtes les vaincus des rois, et sur le dos 12
Vous portez leur grandeur, leur néant, ces fardeaux ; 12
L'ombre des rois vous suit, vous tient, vous accompagne ; 12
Vous êtes des traîneurs de boulet comme au bagne ; 12
895 L'orgueil, leur garde-chiourme, est à votre côté ; 12
Vous avez cette honte au pied, leur majesté ! 12
Débarrassez-vous-en, brisez-moi cette chaîne ! 12
Sortez des quatre murs sanglants de la géhenne, 12
Ignorance, colère, orgueil, mensonge, à bas ! 12
900 Hommes, entendez-vous. Vivez. Plus de combats. 12
Non, la terre d'horreur ne sera pas noyée. 12
Vous êtes l'innocence imbécile employée 12
Aux forfaits, et les bras utiles devenus 12
Scélérats, et je suis celui qui vient pieds nus 12
905 Vous supplier, lions, tigres, d'être des hommes. 12
Il est temps de laisser cette terre ou nous sommes 12
Tranquille, et de permettre aux fleurs, aux blés épais, 12
Aux vignes, aux vergers bénis, de croître en paix ; 12
Il est temps que l'azur brille sur autre chose 12
910 Que de la haine, et l'aube est souriante et rose 12
Pour que nous soyons doux comme elle. Obéissons 12
À la vie, à l'aurore, aux berceaux, aux moissons. 12
Ne sacrifions pas le monde à quelques hommes. 12
Soyez de votre sang vénérable économes. 12
915 Non, il ne se peut pas qu'un choc tumultueux 12
D'hommes ivres, pour plaire aux princes monstrueux, 12
Épouvante ces champs où Dieu met sa lumière. 12
Quoi ! des mères seront en deuil dans leur chaumière, 12
Quoi ! des bras se tordront sous les cieux étoilés ! 12
920 Des morts, pâles, seront entrevus dans les blés 12
Et sous la transparence effrayante des fleuves ; 12
Quoi ! toutes les douleurs, les orphelins, les veuves, 12
Les vieillards, mêleront leurs lamentations… — 12
Ah ! prenez garde à vous, rois ! car vos actions 12
925 D'où sort on ne sait quelle ombre extraordinaire 12
Font écouter à Dieu les conseils du tonnerre ! 12
LA GUERRE CIVILE
Autre champ de bataille. Rues et places publiques.
LE PAPE
apparaissant entre les combattants.
Commencez par moi. — Quoi ! pauvres, déshérités, 12
Votre sort vous accable, et vous le complétez 12
Par de la haine, ayant trop peu de la souffrance ! 12
930 Vous vous entr'égorgez, fils de la même France ! 12
J'entends autour de vous cette mère crier. 12
Toi, paysan, tu veux tuer cet ouvrier ! 12
Pourquoi ? De quelque nom que ton travail se nomme, 12
Il le fait aussi, lui ! vous êtes le même homme ; 12
935 Vous semez, sur la terre où l'humanité croît, 12
Le grand germe sacré, toi l'épi, lui le droit ; 12
Il travaille, et de plus il veut aimer son frère. 12
Nul rie doit à la tâche auguste se soustraire ; 12
L'un est le moissonneur et l'autre l'émondeur. 12
940 Dieu, la clarté qui pense, est dans la profondeur ; 12
Il est l'immense point lumineux de l'abîme ; 12
Hommes, il resplendit, féconde, inspire, anime, 12
Et cette vénérable et sereine lueur 12
Veut faire sur vos fronts briller de la sueur ; 12
945 Car le travail est saint, et c'est la loi sublime. 12
Quoi ! ce n'est pas la bêche, ou l'équerre, ou la lime, 12
Que vous avez aux poings, c'est le glaive ! Pourquoi ? 12
Parce que l'ouvrier marche en avant de toi, 12
Paysan. Il se hâte et l'avenir l'invite. 12
950 L'un va trop lentement et l'autre va trop vite. 12
Peut-être. Dieu le sait. Mais est-ce une raison, 12
O peuple, pour emplir de spectres l'horizon, 12
Pour plonger dans l'horreur vos mains désormais viles, 12
Et faire sangloter le tocsin dans les villes ? 12
955 Tout est la vie ; et Dieu n'a pas construit de mur. 12
Ah ! s'il est au-dessus de nous, dans cet azur 12
Où les réalités sont les axes des mondes, 12
S'il est des buts certains, s'il est des lois profondes, 12
Si l'aube en se levant dit vrai, si l'astre est pur, 12
960 Et si le ciel est pour la terre un ami sûr, 12
Si la vie est un fruit et non pas une proie, 12
L'homme a pour droit, devoir et fonction la joie, 12
Le travail et l'amour ; et, quel que soit l'éclair 12
Qui pour un instant jette un orage dans l'air, 12
965 Il n'est pas de colère âpre, inhumaine, athée, 12
Terrible, qui ne doive être déconcertée 12
Par une mère ayant au sein son nourrisson. 12
Quoi ! partout la fureur ! Quoi ! partout le frisson, 12
Le deuil, des bras sanglants et des fosses creusées ! 12
970 Quoi ! troubler le soleil glorieux, les rosées, 12
Les parfums, les clartés, le mois de mai si beau, 12
Les fleurs, par l'ouverture affreuse du tombeau ! 12
Ah ! fussiez-vous vainqueurs, qu'est-ce que la victoire ? 12
Vous aurez le cœur froid, vous aurez l'âme noire. 12
975 À la fraternité rien ne peut suppléer. 12
Ah ! réfléchissez. Dieu vous créa pour créer, 12
Pour aimer, pour avoir des enfants et des femmes, 12
Pour ajouter sans cesse à vos foyers des flammes, 12
Pour voir croître à vos pieds des fils nombreux et forts, 12
980 Pour faire des vivants ; et vous faites des morts ! 12
Vous qui passez, pourquoi haïr celui qui passe ? 12
Accordez-vous les uns aux autres votre grâce, 12
Arrêtez ! Arrêtez ! Fraternité !
Tout fuit.
Mais l'apôtre se sait écouté par la nuit ; 12
985 Et n'est-ce pas qu'il doit parler aux solitudes, 12
O Dieu, les profondeurs étant des multitudes ? 12
(Il continue.)
IL PARLE DEVANT LUI DANS L'OMBRE
Vivez, marchez, pensez, espérez, aimez-vous. 12
Nul n'est seul ici-bas. Tout a besoin de tous. 12
Riche, épargne le pauvre, et toi, pauvre, pardonne 12
990 Au riche, car le sort prête et jamais né donne, 12
Et l'équilibre obscur se refait tôt ou tard. 12
Tout bien qui naît du mal des autres, est bâtard ; 12
Et les prospérités ne sont jamais qu'obliques 12
Et menteuses, sortant des misères publiques ; 12
995 L'arbre est malsain ayant un cadavre à son pied. 12
Rois, ayez peur du trône où votre orgueil s'assied, 12
Votre âme y devient spectre, et, maîtres des royaumes, 12
Hélas ! sans le savoir vous êtes des fantômes ; 12
S'appeler Romanoff, Habsbourg, Brunswick, Bourbon, 12
1000 Empereur, majesté, roi, césar, à quoi bon ? 12
Les Pharaons ont fait bâtir les Pyramides ; 12
Et quand sous le soleil, sous les grands vents numides, 12
Fouettant leur peuple aux fers, durs comme les destins, 12
Ils eurent achevé ces monuments hautains, 12
1005 Qu'ont-ils mis dans ces blocs prodigieux ? leur cendre. 12
O rois, cela lie sert à rien d'être Alexandre, 12
Sésostris, ou Cyrus à qui le sort sourit, 12
Il vaut mieux être un pauvre appelé Jésus-Christ. 12
Le mal que nous faisons trop souvent nous encense ; 12
1010 Hélas, qui que tu sois, puissant, crains ta puissance, 12
Qui, de l'autre côté du tombeau, fait pitié. 12
On est flatté par où l'on sera châtié. 12
Vous qui faites trembler, tremblez. — Que tout s'apaise ! 12
Quant à toi, travailleur sur qui le fardeau pèse, 12
1015 Toi qui te sens lion et qu'on traite en fourmi, 12
Ne perds pas patience et sache attendre, ami ! — 12
En venir aux mains ? Non. Certes, ton droit suprême, 12
C'est de vivre, d'avoir du pain, d'exiger même 12
Plus de salaire et moins de peine, j'en conviens ; 12
1020 L'immensité te doit ta part des vastes biens, 12
Vie, harmonie, amour, joie, hyménée, aurore. 12
L'avenir n'est pas noir ; c'est le matin qui dore 12
Et remplit de clarté rose les petits doigts 12
Du nouveau-né riant dans sa crèche, et tu dois 12
1025 Vouloir cet avenir éblouissant et juste ; 12
Tu dois, ferme, appuyé sur le travail robuste, 12
Réclamer le paiement de tes efforts, tu dois 12
Protéger ton foyer, et faire face aux lois 12
Si leur sagesse fausse à tes droits est contraire, 12
1030 Et nourrir ton enfant, — mais sans tuer ton frère ! 12
Sans blesser la patrie et meurtrir la cité ! 12
L'idéal ne veut point mêler à sa clarté 12
Les Saint-Barthélemys et les Vendémiaires ; 12
Les principes sereins sont de hautes lumières ; 12
1035 Dans la Terre Promise on ne met pas la mort ; 12
L'espérance n'est pas faite pour le remord ; 12
Peuple, sur le cloaque informe du carnage, 12
Quel que soit le tueur, sais-tu ce qui surnage ? 12
C'est sa honte. — L'opprobre éternel du vainqueur, 12
1040 La pâle liberté morte et l'épée au cœur, 12
Pour soi l'abjection, pour d'autres le martyre. 12
C'est là toute la gloire, ô peuples, qu'on retire 12
Des fauves actions faites aveuglément. 12
Hélas ! sous le regard fixe du firmament, 12
1045 Pas de tueurs ; laissons les bourreaux dans leurs bouges. 12
Je hais une victoire ayant les ongles rouges ; 12
Je n'aime pas qu'un droit ait des mains de boucher, 12
Et, quand il a vaincu, soit forcé de cacher 12
Les fentes des pavés des villes sous du sable. 12
1050 Le paradis de Dieu deviendrait haïssable 12
S'il fallait qu'à travers un meurtre on l'espérât. 12
Quoi ! le droit malfaiteur ! le progrès scélérat ! 12
Homme, crains la balance où tout destin s'achève. 12
Le mal qu'on fait est lourd plus que le bien qu'on rêve. 12
1055 L'aurore est hors de l'ombre et les nuits vont finir ; 12
Crains de mettre une tache au front de l'avenir ; 12
La liberté n'a pas l'assassin pour ministre ; 12
L'astre dont la sortie ouvre un gouffre est sinistre ; 12
Le progrès n'a plus rien de providentiel 12
1060 S'il ne peut, sans creuser l'enfer, monter au ciel ; 12
Nul soleil n'a l'ampleur horrible de l'abîme ; 12
Si grand que soit un droit, il est moins grand qu'un crime ; 12
Jamais, non, même ayant la justice pour soi, 12
On ne peut la servir par le deuil et l'effroi ; 12
1065 La vérité qui tue, affreuse vengeresse, 12
A des yeux de démon sous un front de déesse ; 12
Une étoile n'a pas droit de verser du sang ; 12
L'aube est blanche ; et le bien n'est le bien — qu'innocent. 12
MALÉDICTION ET BÉNÉDICTION
Les malédictions sont sur les multitudes, 12
1070 Les tonnerres profonds hantent les solitudes, 12
Rien n'est laissé tranquille en ce sombre univers. 12
Les prêtres sont pareils à des gouffres ouverts ; 12
Qui regarde dedans voit des choses affreuses. 12
Si tu planes, tout fuit ; tout croule, si tu creuses. 12
O morne angoisse !
1075 Hélas ! l'anxiété partout.
Que de rêves tombés ! Que de spectres debout ! 12
L'homme, en proie à la nuit dont le prêtre est complice, 12
Peut-être a devant lui l'échelle d'un sUpplice 12
Quand, sentant des degrés dans l'ombre, il dit : Montons. 12
1080 Le genre humain ignore, erre, marche à tâtons, 12
Souffre, et ne voit, s'il cherche une lueur propice, 12
Qu'un flamboiement farouche au fond d'un précipice. 12
Tout est-il donc fatal ? Rien n'est-il donc clément ? 12
La vie est une dette et la mort un paiement. 12
1085 Satan règne ; le mal fait loi ; l'enfer, c'est l'ordre. 12
Et j'entendais gémir et je voyais se tordre, 12
Dans la brume que nul n'explore et ne connaît, 12
Les tristes nations sur qui tout s'acharnait, 12
Prêtres, juges, bourreaux, scribes, princes, ministres ; 12
1090 Les innombrables flots ne sont pas plus sinistres ; 12
Le tragique Océan n'est pas plus torturé 12
Par les souffles confus du vent démesuré. 12
L'homme, en ces profonds cieux qu'il nomme noirs royaumes, 12
Regarde un effrayant penchement de fantômes, 12
1095 Et tremblé. L'inconnu lui jette des clameurs. 12
Le matin lui dit : Pleure ! et le soir lui dit : Meurs ! 12
Dans l'Inde, tous les dieux taillés dans tous les marbres, 12
Les blêmes hommes nus vivants au creux des arbres, 12
En Grèce Bacchus ivre et traîné par des lynx, 12
1100 Les molochs en Afrique, en Égypte les sphinx, 12
Le Baal monstrueux, le Jupiter inique, 12
Au Vatican le pâle et sanglant Dominique, 12
Tout menace. Partout les peuples sont maudits. 12
Les rois seuls, noirs élus, sont dans des paradis, 12
1105 Joyeux, superposés aux supplices des hommes ; 12
Les courtisans dorés sont les vils astronomes 12
Qui contemplent d'en bas les rois, ces faux soleils ; 12
Et les rois sont contents de vivre ; et leurs sommeils, 12
Leurs réveils, et leurs lits de pourpre, et leurs carrosses, 12
1110 Leurs trônes, leurs palais, leurs festins, sont féroces. 12
La guerre en sort. Le prêtre est reptile au tyran. 12
Le Talmud n'est pas moins lâche que le Koran. 12
César vainqueur se fait du ciel une province. 12
Loyola, dur au peuple, est complaisant au prince. 12
1115 Le fakir est atroce et le bonze est hideux ; 12
Le crucifix est glaive au poing de Jules Deux ; 12
Caïphe, âme où l'enfer profond se réverbère, 12
Interprète Moïse au profit de Tibère. 12
O deuil ! Accablement du morne genre humain ! 12
1120 Pleurs et cris ! Sang des pieds aux cailloux du chemin ! 12
Noirceur du ciel empli par l'immense anathème ! 12
La faute est dans Je hais ! La faute est dans Je t'aime ! 12
Tout est la chute. Hélas ! que faire ? Hommes damnés ! 12
Responsables de vivre et punis d'être nés ! 12
1125 Je médite éperdu dans la nuit formidable. 12
Quel labeur que jeter la sonde à l'insondable ! 12
Quel gouffre que l'azur qui devient de la nuit ! 12
Terreur ! tout apparaît et tout s'évanouit. 12
Le deuil reste.
Oh ! disais-je, où donc est l'espérance ?
1130 Soudain il me sembla, comme, dans leur souffrance, 12
Pensif, je regardais les peuples douloureux, 12
Voir l'ombre d'une main bénissante sur eux ; 12
Il me sembla sentir quelqu'un de secourable. 12
Et je vis un rayon sur l'homme misérable. 12
1135 Et je levai mes yeux au ciel, et j'aperçus, 12
Là-haut, le grand passant mystérieux, Jésus. 12
EN VOYANT UN PETIT ENFANT
Il est le regard vierge, il est la bouche rose ; 12
On ne sait avec quel ange invisible il cause. 12
N'avoir pas fait de mal, ô mystère profond ! 12
1140 Tout ce que les meilleurs font sur terre, ou défont, 12
Ne vaut pas le sourire ignorant et suprême 12
De l'enfant qui regarde et s'étonne et nous aime. 12
N'avoir pas une tache efface nos splendeurs. 12
Nous nous croyons le droit d'être altiers, durs, grondeurs, 12
1145 Et lui qui ne se sait aucun droit sur la terre, 12
Les a tous. Sa fraîcheur pure nous désaltère ; 12
Il calme notre fièvre, il desserre nos nœuds, 12
Il arrive des lieux obscurs et lumineux, 12
Des gouffres bleus, du fond des divins empyrées ; 12
1150 Ses beaux yeux sont noyés de lueurs azurées ; 12
S'il parlait, des soleils il nous dirait les noms. 12
Dès qu'un enfant est là, nous nous examinons. 12
Pensifs, nous comparons nos âmes à la sienne ; 12
Le plus juste est rêveur de quelque faute ancienne ; 12
1155 Il suffit, pour qu'on ait besoin d'être à genoux 12
Et pour que nous sentions de la noirceur en nous, 12
Que ce doux petit être inexprimable vive ; 12
Et la création entière est attentive 12
Aux, reproches que fait, même à ce qui reluit, 12
1160 Même au ciel, puisqu'il est par instants plein de nuit, 12
Même à la sainteté, triste quand on l'encense, 12
Cette blancheur sans ombre et sans fond, l'innocence. 12
De quel droit sommes-nous autour d'elle méchants ? 12
Que nous a-t-elle fait ? Nos cris couvrent ses chants. 12
1165 Son aube à nos vents noirs mêle son pur zéphyre. 12
Est-ce que sa clarté ne devrait pas suffire 12
Pour nous rendre cléments et pour dompter nos cœurs ? 12
Non, nous restons ingrats, amers, hautains, moqueurs, 12
Pleins d'orages, devant cette candeur sacrée. 12
1170 L'âge d'or, l'heureux temps de Saturne et de Rhée, 12
Existe, c'est l'enfance ; il est sur terre encor ; 12
Et nos siècles de fer sur ce tendre âge d'or 12
N'en font pas moins leur bruit de glaives et de haines, 12
Et l'on entend partout le traînement des chaînes. 12
1175 Vous êtes de la joie errante parmi nous, 12
Enfants ! riez, jouez, croissez. Vos fronts sont doux, 12
Et la faiblesse y met sa tremblante couronne ; 12
L'épanouissement d'avril vous environne ; 12
Sans vous le jour est morne et le matin se tait ; 12
1180 Chantez. Quand le destin, comme s'il regrettait 12
De vous avoir dans l'ombre amenés, vous remmène, 12
Quand vous vous eh allez avant l'épreuve humaine, 12
Votre âme monte aux cieux dans le parfum des fleurs. 12
O chers petits enfants, quand, fuyant nos douleurs, 12
1185 Vous faites dans l'azur serein votre rentrée, 12
Quand un nouveau-né meurt, on dirait que, navrée, 12
La terre prend le deuil des jours qui vous sont dus ; 12
Et l'aurore est en pleurs quand vous êtes rendus 12
Par les roses vos sœurs à vos frères les anges. 12
1190 Il est dans les linceuls une aile, et, dans les langes, 12
Il en est une aussi ; c'est la même. Ouvrez-la, 12
Doux amis, sans pourtant nous quitter, pour cela. 12
Restez, notre prison par vous devient un temple. 12
Rayonnez, innocents, et donnez-nous l'exemple. 12
1195 Croyez, priez, aimez, chantez. Soyez sans fiel. 12
Qu'est-ce que l'âme humaine, ô profond Dieu du ciel, 12
A fait de la candeur dont elle était vêtue ? 12
UN ÉCHAFAUD
LE JUGE sur son siège. LE CONDAMNÉ lié de cordes.
LE BOURREAU, la hache à la main. Au fond la foule.
LE PAPE
regardant l'échafaud.
Je ne comprends pas.
LE JUGE
Prêtre, écoute : un homme tue
Un autre homme.
LE PAPE
Il commet un crime.
LE JUGE
C'est pourquoi
1200 On le prend, on lui fait son procès, et la loi 12
Le tue. Est-ce clair ?
LE PAPE
Oui. La loi commet un crime.
LE JUGE
Qui te donne le droit de nous juger ?
LE PAPE
L'abîme.
LE JUGE
Prêtre, respect aux lois.
LE PAPE
Juge, respect à Dieu.
Cet univers visible est un immense aveu 12
1205 D'ignorance devant l'univers invisible. 12
VOIX DANS LA FOULE
— Qu'il meure ! — Il a tué ! — Le talion ! — La Bible ! 12
— Le code ! — Allons, bourreau, frappe. Va, compagnon ! 12
LE PAPE
à l'assassin condamné.
Toi qui donnas la mort, sais-tu ce que c'est ?
L'ASSASSIN
Non.
LE PAPE
au bourreau.
Toi qui va la donner, le sais-tu ?
LE BOURREAU
Je l'ignore.
LE PAPE
au juge.
1210 Et toi, sais-tu, devant ce ciel qu'emplit l'aurore, 12
Ce que c'est que la mort, juge ?
LE JUGE
Je ne sais pas.
LE PAPE
O deuil !
LE JUGE
Qu'importe !
LE PAPE
Ainsi vous touchez au trépas,
Vous touchez à la hache, à la tombe, au peut-être ! 12
Ainsi vous maniez la mort sans la connaître ! 12
1215 Vous êtes des méchants et des infortunés. 12
Dieu s'est réservé l'homme et vous le lui prenez. 12
Vous n'avez pas construit et vous osez détruire ! 12
O vivants ! vous n'avez d'autre droit que de dire 12
À cet homme qui seul sait ce qu'a fait son bras : 12
1220 Es-tu coupable ? vis, sachant que tu mourras. 12
O vivants, le ciel sent on ne sait quelle honte 12
Quand, vous regardant faire en votre ombre, il confronte 12
Le crime et l'échafaud, l'un de l'autre indignés. 12
Vous saignez du côté du crime, et vous saignez 12
1225 Du côté de la loi, croyant faire équilibre 12
Au meurtrier fatal par le meurtrier libre, 12
Donnant pour contrepoids au bandit le bourreau. 12
Vous tirez, vous aussi, le trépas du fourreau ! 12
Vous allez et venez dans l'obscur phénomène ! 12
1230 Dieu fait la mort divine et vous la mort humaine ! 12
Sombre usurpation dont frémit le penseur. 12
Dieu vit ; de l'infini vous percez l'épaisseur, 12
Peuple, et vous lui changez son coupable en victime. 12
Un homme monstre est là ; vous l'imitez. Un crime 12
1235 Est-il une raison d'un autre crime, hélas ? 12
Faut-il, tristes vivants qui devez être las, 12
L'homme ayant fait le mal, que la loi continue ? 12
De quel droit mettez-vous une âme toute nue, 12
Et faites-vous subir à cette nudité 12
1240 L'effrayant face-à-face avec l'éternité ? 12
Ce dépouillement brusque est interdit au juge. 12
De quel droit changez-vous en écueil le refuge ? 12
L'homme est aveugle et Dieu par la main le conduit ; 12
Dieu nous a mis à tous sur la face la nuit ; 12
1245 Il ne nous a point faits transparents ; il nous couvre 12
D'un suaire de chair et d'ombre qui s'entr'ouvre 12
Quand il veut, au moment indiqué par lui seul ; 12
Vivants, c'est à la mort que tombe le linceul ; 12
Nous sommes jusque-là des inconnus ; Dieu laisse 12
1250 Aux âmes un instant pour rêver, la vieillesse, 12
Le droit à la fatigue et le droit au remords ; 12
Malheur si nous faisons soudainement des morts ! 12
Que l'obscur Dieu, toujours clément, toujours propice, 12
Étant le fond du gouffre, ouvre le précipice, 12
1255 Il le peut, c'est en lui qu'on tombe, et, quel que soit 12
Le rejeté, c'est Dieu pensif qui le reçoit ; 12
Mais, vivants, votre loi, qu'est-elle et que peut-elle ? 12
Sur nous la forme humaine, en nous l'âme immortelle ; 12
Nous sommes des noirceurs sous le ciel étoilé. 12
1260 Je m'ignore, je suis pour moi-même voilé, 12
Dieu seul sait qui je suis et comment je me nomme. 12
L'arrachement du masque est-il permis à l'homme ? 12
De quel droit faites-vous cette surprise à Dieu ? 12
Quoi ! vous mettez la fin de la vie au milieu ! 12
1265 Vous ouvrez et fermez la fatale fenêtre ! 12
À tâtons ! Apprenez ceci : mourir c'est naître 12
Ailleurs. Quel noir travail, ô pâles travailleurs ! 12
Comprenez-vous ce mot épouvantable, ailleurs ? 12
Frémissez. Savez-vous le possible d'une âme ? 12
(Montrant le condamné.)
1270 Cet homme a fait le mal pour nourrir une femme 12
Et des enfants sans pain ; mais vous, avez-vous faim ? 12
Vous le tuez. Pourquoi ? Trouvez-vous bon qu'enfin 12
Le crime et la justice aient la même figure ? 12
O mort, sauvage oiseau, qui sait ton envergure ? 12
1275 Tes ailes couvriraient l'horizon de la mer. 12
La blanche touche au ciel et la noire à l'enfer. 12
Que savons-nous ? Hélas ! le prêtre craint la bible. 12
Notre âme glisse au bord sinistre du possible. 12
La conscience humaine habite un cabanon. 12
1280 Ce que vous faites là, le comprenez-vous ? Non. 12
Avez-vous jamais vu quelqu'un tomber dans l'ombre ? 12
Vous représentez-vous l'immense chute sombre, 12
Le gouffre, l'infini plein d'un vague courroux, 12
Ce damné tombant là ? Vous représentez-vous 12
1285 L'ouverture des mains terribles dans l'abîme ? 12
Horreur ! l'homme interrompt le silence sublime, 12
Lui que Dieu mit sur terre afin qu'il attendît. 12
La justice d'en bas prend la parole et dit : 12
O justice d'en haut, c'est moi qui suis la vraie ! 12
1290 Fils, croyez un vieillard, nous sommes tous l'ivraie. 12
À peine aperçoit-on la faulx ; quant à la main, 12
Cachée en ce lieu noir qu'on appelle Demain, 12
Nous ne la voyons pas. Elle frappe à son heure. 12
Tuer cet homme ! ô ciel ! il me fait peur. Je pleure. 12
1295 Est-ce qu'il est à moi ? Qu'est-il ? Dieu seul le sait. 12
Tuer, sans pouvoir dire au juste ce que c'est, 12
L'homme au-dessus duquel le ciel profond diffère. 12
Avez-vous bien pesé ce que vous allez faire ? 12
Vous figurez-vous, juge, et toi, peuple inclément, 12
1300 L'aile étrange que peut déployer brusquement 12
L'être subit, sorti du viol de la tombe ? 12
Vautour peut-être, hélas ! mais peut-être colombe. 12
Vous dites-vous ceci : S'il était innocent ? 12
Peut-être il monte alors qu'on pense qu'il descend. 12
1305 Que devient votre arrêt devant Dieu ? Les ténèbres 12
Peuvent faire à nos lois des réponses funèbres. 12
Soyons prudents devant ce que nous ignorons. 12
La terre est un point sombre avec des environs 12
Illimités de brume et d'espace farouche. 12
1310 Tout l'infini frémit d'un atome qu'on touche. 12
N'est-il pas monstrueux de penser que la loi 12
Et l'homme, en cette lutte où l'on sent de l'effroi, 12
Mêlent des quantités inégales de crime ? 12
Vous êtes regardés par dessus l'âpre cime ; 12
1315 Ne faites pas pleurer les invisibles yeux. 12
Vous avez des témoins attentifs dans les cieux ; 12
Ne les indignez pas, ne leur faites pas dire : 12
L'homme tue au hasard. L'homme, en proie au délire, 12
A dans de l'inconnu jeté de l'ignoré. 12
1320 Ah ! c'est un attentat triste et démesuré 12
De jeter quelque chose à la noirceur muette, 12
Sans savoir où l'on jette et savoir ce' qu'on jette, 12
D'accroître la stupeur du gouffre avec ce bruit, 12
La hache, et d'envoyer de l'ombre à de la nuit ! 12
PENSIF DEVANT LA NUIT
1325 La prière contemple et la science observe. 12
Quand, dans le cloître noir de la sainte Minerve, 12
Galilée abjurait, vaincu, qu'abjurait-il ? 12
Dieu. C'est Dieu qu'entrevoit de loin l'homme en exil. 12
Des épaisseurs de nuit profonde nous entourent. 12
1330 Les mondes par des feux échangés se secourent ; 12
Car, ciel sombre, on ne sait quels gouffres sont ouverts. 12
L'astre fait des envois de rayons, à travers 12
L'espace et l'étendue immense, à d'autres astres. 12
L'azur a ses combats ; le ciel a ses désastres ; 12
1335 Parfois le mage, au fond des firmaments vermeils, 12
Distingue d'effrayants naufrages de soleils ; 12
À voir l'effarement des pâles météores 12
On devine une étrange extinction d'aurores, 12
Quelque part, dans l'horreur du zénith ignoré. 12
1340 Dieu seul sait l'étiage et connaît le degré 12
Jusqu'où doit croître ou fuir la marée inconnue. 12
L'univers n'est pas moins remué que la nue 12
Par un souffle ; et ce souffle a lui-même sa loi. 12
Le savant dit : Comment ? le penseur dit : Pourquoi ? 12
1345 La réponse d'en haut se perd dans les vertiges. 12
L'ombre est une descente obscure de prodiges. 12
Sans cesse l'inconnu passe devant nos yeux. 12
Mais, ombre, qu'est-il donc de stable sous les cieux ? 12
La justice, dit l'ombre. Aucun vent ne l'emporte. 12
1350 C'est pourquoi, nous pasteurs, nous devons faire en sorte 12
Que l'homme reste bon et sincère au milieu 12
De tous les changements d'équilibre de Dieu. 12
ENTRANT À JÉRUSALEM
Peuple, j'ai dit au Monde et j'ai dit à la Ville : 12
Plus de guerre étrangère et de guerre civile. 12
1355 Plus d'échafaud. Devant le ciel bleu Liberté, 12
Égalité devant la mort, Fraternité 12
Devant le Père. Aimons. Force, aide la faiblesse. 12
Éclairez qui vous nuit ; guérissez qui vous blesse. 12
Paix et pardon. Soyez cléments aux criminels. 12
1360 Le droit des bons c'est d'être au méchant fraternels ; 12
Le juste qui n'a pas d'amour sort du précepte ; 12
Et le soleil n'est plus le soleil s'il excepte 12
Les tigres et les loups de son rayonnement. 12
J'ai montré dans le ciel le grand désarmement, 12
1365 L'équilibre, la loi, l'azur, l'astre, l'aurore. 12
J'ai dit : Pitié ! laissez le repentir éclore. 12
Juges, pensez ; bourreaux, reculez ; vis, Caïn. 12
À qui n'a plus hier ne prenez pas demain ; 12
Laissez à tous le temps de racheter les fautes. 12
1370 Soyez d'humbles songeurs, soyez des âmes hautes. 12
Riches, c'est en donnant qu'on s'enrichit ; semez. 12
Pauvres, la pauvreté n'est point la haine ; aimez. 12
Toute bonne pensée est une délivrance. 12
Si noir que soit le deuil, conservez l'espérance ; 12
1375 Car rien n'est plein, de nuit sans être plein de ciel. 12
La haine est un vent sombre et pestilentiel ; 12
Aimez, aimez, aimez, aimez, — soyez des frères. 12
Et maintenant, ayant fait face aux téméraires, 12
Ayant lavé le fond du vase baptismal, 12
1380 Ayant diminué sur la terre le mal, 12
Vieillard pensif qui n'ai d'autre force que d'être 12
Chez les peuples un pauvre et chez les rois un prêtre, 12
Compagnon des douleurs, des exils, des grabats, 12
Je viens près de celui qui fit voir ici-bas 12
1385 Toute la quantité de Dieu qui tient dans l'homme ; 12
Je prends Jérusalem et je vous laisse Rome, 12
Jérusalem étant le véritable lieu. 12
Hommes, je viens me mettre en prière chez Dieu. 12
Je ne me sens réel que sur ce mont sévère ; 12
1390 L'ombre est au Capitole et l'âme est au Calvaire ; 12
Là-haut l'ange et le saint trouvent que j'ai raison, 12
Quittant César pour Christ, de changer de maison, 12
Et je monte, appuyé sur l'aigle et la colombe, 12
De ce bas-fond, le trône, à ce sommet, la tombe. 12
1395 Je me fais serviteur du sépulcre, sentant 12
Près de moi le grand cœur de Jésus palpitant. 12
O rois, je hais la pourpre et j'aime le suaire ; 12
Et j'habite la vie, ô rois ! vous l'ossuaire. 12
Car la toute-puissance est un squelette noir. 12
1400 L'homme tend une main au mal, l'autre à l'espoir ; 12
Tantôt il court, tantôt il trébuche, et je mène 12
Et j'éclaire quiconque aide la marche humaine. 12
Allons en avant. L'ombre est morte ; et déjà tous 12
Nous sentons la chaleur d'un avenir plus doux. 12
1405 Nous nous sommes trouvés ; longtemps nous nous cherchâmes. 12
J'ai marché dans la vaste obscurité des âmes ; 12
Je vous ai dit : Je suis le jour. Pour vous je nais. 12
Et vous êtes venus, voyant que je venais. 12
O vivants, ouvriers de l'œuvre universelle, 12
1410 Travaillez ; que l'enclume éternelle étincelle ; 12
Soyez purs, soyez doux, soyez frais, soyez bons. 12
Tous sur le grand travail sacré nous nous courbons. 12
Nous prêtres, nous prions. Puisse notre prière, 12
Sortie amour de nous, entrer en vous lumière ! 12
1415 Peuple, aimez. On devient lumineux en aimant. 12
Ce serait être injuste envers le firmament 12
Que de répondre aux feux d'en haut par nos ténèbres. 12
Que, l'azur étant pur, les âmes soient funèbres, 12
C'est mal ; et l'Éternel a fait les vérités, 12
1420 Les devoirs, les vertus, afin que leurs clartés 12
Illuminent le sombre intérieur des hommes ; 12
Et pour que, dans le monde insondable où nous sommes, 12
Et devant l'infini plein d'invisibles yeux, 12
Les cœurs ne soient pas moins étoiles que les cieux. 12
Peuples, aimez-vous. Paix à tous.
LES HOMMES
1425 Sois béni, père.
DIEU
Fils, sois béni.
SCÈNE DEUXIÈME
RÉVEIL
Le Vatican. — La chambre du pape. — Le matin.
LE PAPE
se réveillant.
Quel rêve affreux je viens de faire !
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