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HUG_17/HUG397
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
AU MOMENT
DE RENTRER EN FRANCE
31 AOÛT 1870
Qui peut en ce moment où Dieu peut-être échoue, 12
Deviner 3
Si c'est du côté sombre ou joyeux que la roue 12
Va tourner ? 3
5 Qu'est-ce qui va sortir de ta main qui se voile, 12
Ô destin ? 3
Sera-ce l'ombre infâme et sinistre, ou l'étoile 12
Du matin ? 3
Je vois en même temps le meilleur et le pire ; 12
10 Noir tableau ! 3
Car la France mérite Austerlitz, et l'empire 12
Waterloo. 3
J'irai, je rentrerai dans ta muraille sainte, 12
Ô Paris ! 3
15 Je te rapporterai l'âme jamais éteinte 12
Des proscrits. 3
Puisque c'est l'heure où tous doivent se mettre à l'œuvre, 12
Fiers, ardents, 3
Écraser au dehors le tigre, et la couleuvre 12
20 Au dedans ; 3
Puisque l'idéal pur, n'ayant pu nous convaincre, 12
S'engloutit ; 3
Puisque nul n'est trop grand pour mourir, ni pour vaincre 12
Trop petit ; 3
25 Puisqu'on voit dans les cieux poindre l'aurore noire 12
Du plus fort ; 3
Puisque tout devant nous maintenant est la gloire 12
Ou la mort ; 3
Puisqu'en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent, 12
30 Jour sacré ! 3
Puisque c'est le moment où les lâches reculent, 12
J'accourrai. 3
Et mon ambition, quand vient sur la frontière 12
L'étranger, 3
35 La voici : part aucune au pouvoir, part entière 12
Au danger. 3
Puisque ces ennemis, hier encor nos hôtes, 12
Sont chez nous, 3
J'irai, je me mettrai, France, devant tes fautes 12
40 À genoux ! 3
J'insulterai leurs chants, leurs aigles noirs, leurs serres, 12
Leurs défis ; 3
Je te demanderai ma part de tes misères, 12
Moi ton fils. 3
45 Farouche, vénérant, sous leurs affronts infâmes, 12
Tes malheurs, 3
Je baiserai tes pieds, France, l'œil plein de flammes 12
Et de pleurs. 3
France, tu verras bien qu'humble tête éclipsée 12
50 J'avais foi, 3
Et que je n'eus jamais dans l'âme une pensée 12
Que pour toi. 3
Tu me permettras d'être en sortant des ténèbres 12
Ton enfant ; 3
55 Et tandis que rira ce tas d'hommes funèbres 12
Triomphant, 3
Tu ne trouveras pas mauvais que je t'adore, 12
En priant, 3
Ébloui par ton front invincible, que dore 12
60 L'Orient. 3
Naguère, aux jours d'orgie où l'homme joyeux brille, 12
Et croit peu, 3
Pareil aux durs sarments desséchés où pétille 12
Un grand feu, 3
65 Quand, ivre de splendeur, de triomphe et de songes, 12
Tu dansais 3
Et tu chantais, en proie aux éclatants mensonges 12
Du succès, 3
Alors qu'on entendait ta fanfare de fête 12
70 Retentir, 3
Ô Paris, je t'ai fui comme le noir prophète 12
Fuyait Tyr. 3
Quand l'empire en Gomorrhe avait changé Lutèce, 12
Morne, amer, 3
75 Je me suis envolé dans la grande tristesse 12
De la mer. 3
Là, tragique, écoutant ta chanson, ton délire, 12
Bruits confus, 3
J'opposais à ton luxe, à ton rève, à ton rire, 12
80 Un refus. 3
Mais aujourd'hui qu'arrive avec sa sombre foule 12
Attila, 3
Aujourd'hui que le monde autour de toi s'écroule, 12
Me voilà. 3
85 France, être sur ta claie à l'heure où l'on te traîne 12
Aux cheveux, 3
Ô ma mère, et porter mon anneau de ta chaîne, 12
Je le veux ! 3
J'accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille 12
90 Ont craché ; 3
Tu me regarderas debout sur ta muraille, 12
Ou couché. 3
Et peut-être, en la terre où brille l'espérance, 12
Pur flambeau, 3
95 Pour prix de mon exil, tu m'accorderas, France, 12
Un tombeau. 3
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