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HUG_17/HUG382
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE VII
LES SAUVEURS SE SAUVERONT
II
LA RECULADE
I
Je disais : — ces soldats ont la tête trop basse. 12
Il va leur ouvrir des chemins. 8
Le peuple aime la poudre, et quand le clairon passe 12
La France chante et bat des mains. 8
5 La guerre est une pourpre où le meurtre se drape : 12
Il va crier son : quos ego ! 8
Un beau jour, de son crime, ainsi que d'une trappe, 12
Nous verrons sortir Marengo. 8
Il faut bien qu'il leur jette enfin un peu de gloire 12
10 Après tant de honte et d'horreur ! 8
Que, vainqueur, il défile avec tout son prétoire 12
Devant Troplong le procureur ; 8
Qu'il tâche de cacher son carcan à l'histoire, 12
Et qu'il fasse par le doreur 8
15 Ajuster sa sellette au vieux char de victoire 12
Où monta le grand empereur. 8
Il voudra devenir César, frapper, dissoudre 12
Les anciens états ébranlés, 8
Et, calme, à l'univers montrer, tenant la foudre, 12
20 La main qui fit des fausses clefs. 8
Il fera du vieux monde éclater la machine ; 12
Il voudra vaincre et surnager ! 8
Hudson Lowe, Blücher, Wellington, Rostopschine, 12
Que de souvenirs à venger ! 8
25 L'occasion abonde à l'époque où nous sommes. 12
Il saura saisir le moment. 8
On ne peut pas rester avec cinq cent mille hommes 12
Dans la fange éternellement. 8
Il ne peut les laisser courbés sous leur sentence ; 12
30 Il leur faut les hauts faits lointains ; 8
À la meute guerrière il faut une pitance 12
De lauriers et de bulletins. 8
Ces soldats, que Décembre orne comme une dartre, 12
Ne peuvent pas, chiens avilis, 8
35 Ronger à tout jamais le boulevard Montmartre 12
Quand leurs pères ont Austerlitz ! 8
II
Eh bien non ! je rêvais. Illusion détruite ! 12
Gloire ! songe, néant, vapeur ! 8
O soldats ! quel réveil ! l'empire, c'est la fuite. 12
40 Soldats ! l'empire, c'est la peur. 8
Ce Mandrin de la paix est plein d'instincts placides ; 12
Ce Schinderhannes craint les coups. 8
O châtiment ! pour lui vous fûtes parricides, 12
Soldats, il est poltron pour vous. 8
45 Votre gloire a péri sous ce hideux incube 12
Aux doigts de fange, au cœur d'airain. 8
Ah ! frémissez ! le czar marche sur le Danube, 12
Vous ne marchez pas sur le Rhin ! 8
III
Ô nos pauvres enfants ! soldats de notre France ! 12
50 Ô triste armée à l'œil terni ! 8
Adieu la tente ! adieu les camps ! plus d'espérance ! 12
Soldats ! soldats ! tout est fini ! 8
N'espérez plus laver dans les combats le crime 12
Dont vous êtes éclaboussés. 8
55 Pour nous ce fut le piège et pour vous c'est l'abîme. 12
Cartouche règne ; c'est assez. 8
Oui, Décembre à jamais vous tient, hordes trompées ! 12
Oui, vous êtes ses vils troupeaux ! 8
Oui, gardez sur vos mains, gardez sur vos épées, 12
60 Hélas ! gardez sur vos drapeaux 8
Ces souillures qui font horreur à vos familles 12
Et qui font sourire Dracon, 8
Et que ne voudrait pas avoir sur ses guenilles 12
L'équarrisseur de Montfaucon ! 8
65 Gardez le deuil, gardez le sang, gardez la boue ! 12
Votre maître hait le danger. 8
Il vous fait reculer ; gardez sur votre joue 12
L'âpre soufflet de l'étranger ! 8
Ce nain à sa stature a rabaissé vos tailles. 12
70 Ce n'est qu'au vol qu'il est hardi. 8
Adieu la grande guerre et les grandes batailles 12
Adieu Wagram ! adieu Lodi ! 8
Dans cette horrible glu votre aile est prisonnière. 12
Derrière un crime il faut marcher. 8
75 C'est fini. Désormais vous avez pour bannière 12
Le tablier de ce boucher ! 8
Renoncez aux combats, au nom de Grande Armée, 12
Au vieil orgueil des trois couleurs ; 8
Renoncez à l'immense et superbe fumée, 12
80 Aux femmes vous jetant des fleurs, 8
À l'encens, aux grands arcs triomphaux que fréquentent 12
Les ombres des héros le soir ; 8
Hélas ! contentez-vous de ces prêtres qui chantent 12
Des Te Deum dans l'abattoir ! 8
85 Vous ne conquerrez point la palme expiatoire, 12
La palme des exploits nouveaux, 8
Et vous ne verrez pas se dorer dans la gloire 12
La crinière de vos chevaux ! 8
IV
Donc l'épopée échoue avant qu'elle commence ! 12
90 Annibal a pris un calmant ; 8
L'Europe admire, et mêle une huée immense 12
À cet immense avortement. 8
Donc ce neveu s'en va par la porte bâtarde ! 12
Donc ce sabreur, ce pourfendeur, 8
95 Ce masque moustachu dont la bouche vantarde 12
S'ouvrait dans toute sa grandeur, 8
Ce César qu'un valet tous les matins harnache 12
Pour s'en aller dans les combats, 8
Cet ogre galonné dont le hautain panache 12
100 Faisait oublier le front bas, 8
Le tueur qui semblait l'homme que rien n'étonne, 12
Qui jouait, dans les hosanna, 8
Tout barbouillé du sang du ruisseau Tiquetonne, 12
La pantomime d'Iéna, 8
105 Ce héros que Dieu fit général des jésuites, 12
Ce vainqueur qui s'est dit absous, 8
Montre à Clio son nez meurtri de pommes cuites, 12
Son œil éborgné de gros sous ! 8
Et notre armée, hélas ! sa dupe et sa complice, 12
110 Baisse un front lugubre et puni, 8
Et voit sous les sifflets s'enfuir dans la coulisse 12
Cet écuyer de Franconi ! 8
Cet histrion, qu'on cingle à grands coups de lanière, 12
A le crime pour seul talent ; 8
115 Les Saint-Barthélemy vont mieux à sa manière 12
Qu'Aboukir et que Friedland. 8
Le Cosaque stupide arrache à ce superbe 12
Sa redingote à brandebourgs ; 8
L'âne russe a brouté ce Bonaparte en herbe. 12
120 Sonnez, clairons ! battez, tambours ! 8
Tranchemontagne, ainsi que Basile, a la fièvre ; 12
La colique empoigne Agramant ; 8
Sur le crâne du loup les oreilles du lièvre 12
Se dressent lamentablement. 8
125 Le fier-à-bras tremblant se blottit dans son antre ; 12
Le grand sabre a peur de briller ; 8
La fanfare bégaie et meurt ; la flotte rentre 12
Au port, et l'aigle au poulailler ! 8
V
Et tous ces capitans dont l'épaulette brille 12
130 Dans les Louvres et les châteaux 8
Disent : — mangeons la France et le peuple en famille. 12
Sire, les boulets sont brutaux. 8
Et Forey va criant : — majesté, prenez garde. 12
Reybell dit : — morbleu, sacrebleu ! 8
135 Tenons-nous coi. Le czar fait manœuvrer sa garde. 12
Ne jouons pas avec le feu. 8
Espinasse reprend : — César, gardez la chambre. 12
Ces Kalmoucks ne sont pas manchots. 8
— Coiffez-vous, dit Leroy, du laurier de décembre, 12
140 Prince, et tenez-vous les pieds chauds. 8
Et Magnan dit : — buvons et faisons l'amour, sire ! 12
Les rêves s'en vont à vau-l'eau. 8
Et dans sa sombre plaine, ô douleur, j'entends rire 12
Le noir lion de Waterloo ! 8
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