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HUG_17/HUG361
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE V
L'AUTORITÉ EST SACRÉE
X
À UN QUI VEUT SE DÉTACHER
I
Maintenant il se dit : l'empire est chancelant ; 12
La victoire est peu sûre. 6
Il cherche à s'en aller, furtif et reculant. 12
Reste dans la masure ! 6
5 Tu dis : le plafond croule. Ils vont, si l'on me voit, 12
Empêcher que je sorte. 6
N'osant rester ni fuir, tu regardes le toit, 12
Tu regardes la porte ; 6
Tu mets timidement la main sur le verrou. 12
10 Reste en leurs rangs funèbres ! 6
Reste ! la loi qu'ils ont enfouie en un trou 12
Est là dans les ténèbres. 6
Reste ! elle est là, le flanc percé de leur couteau, 12
Gisante, et sur sa bière 6
15 Ils ont mis une dalle. Un pan de ton manteau 12
Est pris sous cette pierre ! 6
Pendant qu'à l'Élysée en fête et plein d'encens, 12
On chante, on déblatère, 6
Qu'on oublie et qu'on rit, toi tu pâlis ; tu sens 12
20 Ce spectre sous la terre ! 6
Tu ne t'en iras pas ! quoi ! quitter leur maison ! 12
Et fuir leur destinée ! 6
Quoi ! tu voudrais trahir jusqu'à la Trahison, 12
Elle-même indignée ! 6
25 Quoi ! tu veux renier ce larron au front bas 12
Qui t'admire et t'honore ! 6
Quoi ! Judas pour Jésus, tu veux pour Barabbas 12
Être Judas encore ! 6
Quoi ! n'as-tu pas tenu l'échelle à ces fripons, 12
30 En pleine connivence ? 6
Le sac de ces voleurs, ne fut-il pas, réponds, 12
Cousu par toi d'avance ! 6
Les mensonges, la haine au dard froid et visqueux, 12
Habitent ce repaire ; 6
35 Tu t'en vas ! de quel droit ? étant plus renard qu'eux, 12
Et plus qu'elle vipère ! 6
II
Quand l'Italie en deuil dressa, du Tibre au Pô, 12
Son drapeau magnifique, 6
Quand ce grand peuple, après s'être couché troupeau, 12
40 Se leva république, 6
C'est toi, quand Rome aux fers jeta le cri d'espoir, 12
Toi qui brisas son aile, 6
Toi qui fis retomber l'affreux capuchon noir 12
Sur sa face éternelle ! 6
45 C'est toi qui restauras Montrouge et Saint-Acheul, 12
Écoles dégradées 6
Où l'on met à l'esprit frémissant un linceul, 12
Un bâillon aux idées. 6
C'est toi qui, pour progrès rêvant l'homme animal, 12
50 Livras l'enfant victime 6
Aux jésuites lascifs, sombres amants du mal, 12
En rut devant le crime ! 6
Ô pauvres chers enfants qu'ont nourris de leur lait 12
Et qu'ont bercés nos femmes, 6
55 Ces blêmes oiseleurs ont pris dans leur filet 12
Toutes vos douces âmes ! 6
Hélas ! ce triste oiseau, sans plumes sur la chair, 12
Rongé de lèpre immonde, 6
Qui rampe et qui se meurt dans leur cage de fer, 12
60 C'est l'avenir du monde ! 6
Si nous les laissons faire, on aura dans vingt ans, 12
Sous les cieux que Dieu dore, 6
Une France aux yeux ronds, aux regards clignotants, 12
Qui haïra l'aurore. 6
65 Ces noirs magiciens, ces jongleurs tortueux 12
Dont la fraude est la règle, 6
Pour en faire sortir le hibou monstrueux, 12
Ont volé l'œuf de l'aigle ! 6
III
Donc comme les Baskirs, sur Paris étouffé 12
70 Et comme les Croates, 6
Créateurs du néant, vous avez triomphé 12
Dans vos haines béates ; 6
Et vous êtes joyeux, vous, constructeurs savants 12
Des préjugés sans nombre, 6
75 Qui, pareils à la nuit, versez sur les vivants 12
Des urnes pleines d'ombre ! 6
Vous courez saluer le nain Napoléon ; 12
Vous dansez dans l'orgie ! 6
Ce grand siècle est souillé ! c'était le Panthéon, 12
80 Et c'est la tabagie ! 6
Et vous dites : c'est bien ! vous sacrez parmi nous 12
César au nom de Rome 6
L'assassin qui, la nuit, se met à deux genoux 12
Sur le ventre d'un homme ! 6
85 Ah ! malheureux ! louez César qui fait trembler, 12
Adorez son étoile ; 6
Vous oubliez le Dieu vivant qui peut rouler 12
Les cieux comme une toile ! 6
Encore un peu de temps, et ceci tombera ; 12
90 Dieu vengera sa cause ! 6
Les villes chanteront, le lieu désert sera 12
Joyeux comme une rose ! 6
Encore un peu de temps, et vous ne serez plus, 12
Et je viens vous le dire. 6
95 Vous êtes les maudits, nous sommes les élus ; 12
Regardez-nous sourire ! 6
Je le sais, moi qui vis au bord du gouffre amer, 12
Sur les rocs centenaires, 6
Moi qui passe mes jours à contempler la mer 12
100 Pleine de sourds tonnerres ! 6
IV
Toi, leur chef, sois leur chef ! c'est là ton châtiment, 12
Sois l'homme des discordes ! 6
Ces fourbes ont saisi le genre humain dormant 12
Et l'ont lié de cordes ! 6
105 Ah ! tu voulus défaire, épouvantable affront ! 12
Les âmes que Dieu crée ? 6
Eh bien, frissonne et pleure, atteint toi-même au front 12
Par ton œuvre exécrée ! 6
À mesure que vient l'ignorance, et l'oubli, 12
110 Et l'erreur qu'elle amène, 6
à mesure qu'aux cieux décroît, soleil pâli, 12
L'intelligence humaine, 6
Et que son jour s'éteint, laissant l'homme méchant 12
Et plus froid que les marbres, 6
115 Votre honte, ô maudits, grandit comme au couchant 12
Grandit l'ombre des arbres ! 6
V
Oui, reste leur apôtre ! oui, tu l'as mérité. 12
C'est là ta peine énorme ! 6
Regarde en frémissant dans la postérité 12
120 Ta mémoire difforme. 6
On voit, louche rhéteur des vieux partis hurlants, 12
Qui mens et qui t'emportes, 6
Pendre à tes noirs discours, comme à des clous sanglants, 12
Toutes les grandes mortes, 6
125 La Justice, la Foi, bel ange souffleté 12
Par la goule papale, 6
La Vérité, fermant les yeux, la Liberté 12
Échevelée et pâle, 6
Et ces deux sœurs, hélas ! nos mères toutes deux, 12
130 Rome qu'en pleurs je nomme, 6
Et la France sur qui, raffinement hideux, 12
Coule le sang de Rome ! 6
Homme fatal ! l'histoire en ses enseignements 12
Te montrera dans l'ombre, 6
135 Comme on montre un gibet entouré d'ossements 12
Sur la colline sombre ! 6
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