Métrique en Ligne
HUG_17/HUG342
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE IV
LA RELIGION EST GLORIFIÉE
IV
À DES JOURNALISTES DE ROBE COURTE
Parce que, jargonnant vêpres, jeûne et vigile, 12
Exploitant Dieu qui rêve au fond du firmament, 12
Vous avez, au milieu du divin évangile, 12
Ouvert boutique effrontément ; 8
5 Parce que vous feriez prendre à Jésus la verge, 12
Cyniques brocanteurs sortis on ne sait d'où ; 12
Parce que vous allez vendant la sainte Vierge 12
Dix sous avec miracle et sans miracle un sou ; 12
Parce que vous contez d'effroyables sornettes 12
10 Qui font des temples saints trembler les vieux piliers, 12
Parce que votre style éblouit les lunettes 12
Des duègnes et des marguilliers ; 8
Parce que la soutane est sous vos redingotes, 12
Parce que vous sentez la crasse et non l'œillet, 12
15 Parce que vous bâclez un journal de bigotes 12
Pensé par Escobar, écrit par Patouillet ; 12
Parce qu'en balayant leurs portes, les concierges 12
Poussent dans le ruisseau ce pamphlet méprisé ; 12
Parce que vous mêlez à la cire des cierges 12
20 Votre affreux suif vert-de-grisé ; 8
Parce qu'à vous tout seuls vous faites une espèce ; 12
Parce qu'enfin, blanchis dehors et noirs dedans, 12
Criant mea-culpa, battant la grosse caisse, 12
La boue au cœur, la larme à l'œil, le fifre aux dents, 12
25 Pour attirer les sots qui donnent tête-bêche 12
Dans tous les vils panneaux du mensonge immortel, 12
Vous avez adossé le tréteau de Bobêche 12
Aux saintes pierres de l'autel, 8
Vous vous croyez le droit, trempant dans l'eau bénite 12
30 Cette griffe qui sort de votre abject pourpoint, 12
De dire : je suis saint, ange, vierge et jésuite, 12
J'insulte les passants et je ne me bats point ! 12
Ô pieds plats ! votre plume au fond de vos masures 12
Griffonne, va, vient, court, boit l'encre, rend du fiel, 12
35 Bave, égratigne et crache ; et ses éclaboussures 12
Font des taches jusques au ciel ! 8
Votre immonde journal est une charretée 12
De masques déguisés en prédicants camus, 12
Qui passent en prêchant la cohue ameutée 12
40 Et qui parlent argot entre deux oremus. 12
Vous insultez l'esprit, l'écrivain dans ses veilles, 12
Et le penseur rêvant sur les libres sommets ; 12
Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles, 12
Vos oreilles n'y sont jamais. 8
45 Après avoir lancé l'affront et le mensonge, 12
Vous fuyez, vous courez, vous échappez aux yeux. 12
Chacun a ses instincts, et s'enfonce et se plonge, 12
Le hibou dans les trous et l'aigle dans les cieux ! 12
Vous, où vous cachez-vous ? dans quel hideux repaire ? 12
50 O Dieu ! l'ombre où l'on sent tous les crimes passer 12
S'y fait autour de vous plus noire et la vipère 12
S'y glisse et vient vous y baiser. 8
Là vous pouvez, dragons qui rampez sous les presses, 12
Vous vautrer dans la fange où vous jettent vos goûts. 12
55 Le sort qui dans vos cœurs mit toutes les bassesses 12
Doit faire en vos taudis passer tous les égouts. 12
Bateleurs de l'autel, voilà quels sont vos rôles. 12
Et quand un galant homme à de tels compagnons 12
Fait cet immense honneur de leur dire : mes drôles, 12
60 Je suis votre homme ; dégainons ! 8
— Un duel ! nous ! des chrétiens ! jamais ! — et ces crapules 12
Font des signes de croix et jurent par les saints. 12
Lâches gueux, leur terreur se déguise en scrupules, 12
Et ces empoisonneurs ont peur d'être assassins. 12
65 Bien, écoutez : la trique est là, fraîche coupée. 12
On vous fera cogner le pavé du menton ; 12
Car sachez-le, coquins, on n'esquive l'épée 12
Que pour rencontrer le bâton. 8
Vous conquîtes la Seine et le Rhin et le Tage. 12
70 L'esprit humain rogné subit votre compas. 12
Sur les publicains juifs vous avez l'avantage, 12
Maudits ! Judas est mort, Tartuffe ne meurt pas. 12
Iago n'est qu'un fat près de votre Basile. 12
La Bible en vos greniers pourrit mangée aux vers. 12
75 Le jour où le mensonge aurait besoin d'asile, 12
Vos cœurs sont là, tout grands ouverts. 8
Vous insultez le juste abreuvé d'amertumes. 12
Tous les vices, quittant veste, cape et manteau, 12
Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes. 12
80 On entre Lacenaire, on sort Contrafatto. 12
Les âmes sont pour vous des bourses et des banques. 12
Quiconque vous accueille a d'affreux repentirs. 12
Vous vous faites chasser, et par vos saltimbanques 12
Vous parodiez les martyrs. 8
85 L'église du bon Dieu n'est que votre buvette. 12
Vous offrez l'alliance à tous les inhumains. 12
On trouvera du sang au fond de la cuvette 12
Si jamais, par hasard, vous vous lavez les mains. 12
Vous seriez des bourreaux si vous n'étiez des cuistres. 12
90 Pour vous le glaive est saint et le supplice est beau ; 12
Ô monstres ! vous chantez dans vos hymnes sinistres 12
Le bûcher, votre seul flambeau ! 8
Depuis dix-huit cents ans Jésus, le doux pontife, 12
Veut sortir du tombeau qui lentement se rompt, 12
95 Mais vous faites effort, ô valets de Caïphe, 12
Pour faire retomber la pierre sur son front ! 12
Ô cafards ! votre échine appelle l'étrivière. 12
Le son juste et railleur fait chasser Loyola 12
De France par le fouet d'un pape, et de Bavière 12
100 Par la cravache de Lola. 8
Allez, continuez, tournez la manivelle 12
De votre impur journal, vils grimauds dépravés ; 12
Avec vos ongles noirs grattez votre cervelle ; 12
Calomniez, hurlez, mordez, mentez, vivez ! 12
105 Dieu prédestine aux dents des chevreaux les brins d'herbes, 12
La mer aux coups de vent, les donjons aux boulets, 12
Aux rayons du soleil les parthénons superbes, 12
Vos faces aux larges soufflets. 8
Sus donc ! cherchez les trous, les recoins, les cavernes ! 12
110 Cachez-vous, plats vendeurs d'un fade orviétan, 12
Pitres dévots, marchands d'infâmes balivernes, 12
Vierges comme l'eunuque, anges comme satan ! 12
Ô saints du ciel ! est-il, sous l'œil de Dieu qui règne, 12
Charlatans plus hideux et d'un plus lâche esprit, 12
115 Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne 12
Aux clous saignants de Jésus-Christ ! 8
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