Métrique en Ligne
HUG_17/HUG320
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE II
L'ORDRE EST RÉTABLI
V
Puisque le juste est dans l'abîme, 8
Puisqu'on donne le sceptre au crime, 8
Puisque tous les droits sont trahis, 8
Puisque les plus fiers restent mornes, 8
5 Puisqu'on affiche au coin des bornes 8
Le déshonneur de mon pays ; 8
Ô République de nos pères, 8
Grand Panthéon plein de lumières, 8
Dôme d'or dans le libre azur, 8
10 Temple des ombres immortelles, 8
Puisqu'on vient avec des échelles 8
Coller l'empire sur ton mur ; 8
Puisque toute âme est affaiblie, 8
Puisqu'on rampe ; puisqu'on oublie 8
15 Le vrai, le pur, le grand, le beau, 8
Les yeux indignés de l'histoire, 8
L'honneur, la loi, le droit, la gloire, 8
Et ceux qui sont dans le tombeau ; 8
Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime ! 8
20 Tristesse, sois mon diadème. 8
Je t'aime, altière pauvreté ! 8
J'aime ma porte aux vents battue. 8
J'aime le deuil, grave statue 8
Qui vient s'asseoir à mon côté. 8
25 J'aime le malheur qui m'éprouve ; 8
Et cette ombre où je vous retrouve, 8
Ô vous à qui mon cœur sourit, 8
Dignité, foi, vertu voilée, 8
Toi, liberté, fière exilée, 8
30 Et toi, dévouement, grand proscrit ! 8
J'aime cette île solitaire, 8
Jersey, que la libre Angleterre 8
Couvre de son vieux pavillon, 8
L'eau noire, par moments accrue, 8
35 Le navire, errante charrue, 8
Le flot, mystérieux sillon. 8
J'aime ta mouette, ô mer profonde, 8
Qui secoue en perles ton onde 8
Sur son aile aux fauves couleurs, 8
40 Plonge dans les lames géantes, 8
Et sort de ces gueules béantes 8
Comme l'âme sort des douleurs ! 8
J'aime la roche solennelle 8
D'où j'entends la plainte éternelle, 8
45 Sans trêve comme le remords, 8
Toujours renaissant dans les ombres, 8
Des vagues sur les écueils sombres, 8
Des mères sur leurs enfants morts ! 8
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