MÉTRIQUE EN LIGNE

Métrique en Ligne

HUG_14/HUG220

Victor HUGO

Les Chants du Crépuscule

1835

XXXVI

	Toi ! sois bénie à jamais !	7
	Ève qu'aucun fruit ne tente !	7
	Qui de la vertu contente	7
	Habite les purs sommets !	7
5	Âme sans tache et sans rides,	7
	Baignant tes ailes candides,	7
	A l'ombre et bien loin des yeux,	7
	Dans un flot mystérieux,	7
	Moiré de reflets splendides !	7

10	Sais-tu ce qu'en te voyant	7
	L'indigent dit quand tu passes ?	7
	— Voici le front plein de grâces	7
	Qui sourit au suppliant !	7
	Notre infortune la touche.	7
15	Elle incline à notre couche	7
	Un visage radieux ;	7
	Et les mots mélodieux	7
	Sortent charmants de sa bouche ! » —	7

	Sais-tu, les yeux vers le ciel,	7
20	Ce que dit la pauvre veuve ?	7
	— Un ange au fiel qui m'abreuve	7
	Est venu mêler son miel.	7
	Comme à l'herbe la rosée,	7
	Sur ma misère épuisée,	7
25	Ses bienfaits sont descendus.	7
	Nos cœurs se sont entendus,	7
	Elle heureuse, et moi brisée !	7

	J'ai senti que rien d'impur	7
	Dans sa gaîté ne se noie,	7
30	Et que son front a la joie	7
	Comme le ciel a l'azur.	7
	Son œil de même a su lire	7
	Que le deuil qui me déchire	7
	N'a que de saintes douleurs.	7
35	Comme elle a compris mes pleurs,	7
	Moi, j'ai compris son sourire ! » —	7

	Pour parler des orphelins,	7
	Quand, près du foyer qui tremble,	7
	Dans mes genoux je rassemble	7
40	Tes enfants de ton cœur pleins ;	7
	Quand je leur dis l'hiver sombre,	7
	La faim, et les maux sans nombre	7
	Des petits abandonnés,	7
	Et qu'à peine sont-ils nés	7
45	Qu'ils s'en vont pieds nus dans l'ombre ;	7

	Tandis que, silencieux,	7
	Le groupe écoute et soupire,	7
	Sais-tu ce que semblent dire	7
	Leurs yeux pareils à tes yeux ?	7
50	— Vous qui n'avez rien sur terre,	7
	Venez chez nous ! pour vous plaire	7
	Nous nous empresserons tous ;	7
	Et vous aurez comme nous	7
	Votre part de notre mère ! »	7

55	Sais-tu ce que dit mon cœur ?	7
	— Elle est indulgente et douce,	7
	Et sa lèvre ne repousse	7
	Aucune amère liqueur.	7
	Mère pareille à sa fille,	7
60	Elle luit dans ma famille	7
	Sur mon front que l'ombre atteint.	7
	Le front se ride et s'éteint,	7
	La couronne toujours brille ! » —	7

	Au-dessus des passions,	7
65	Au-dessus de la colère,	7
	Ton noble esprit ne sait faire	7
	Que de nobles actions.	7
	Quand jusqu'à nous tu te penches,	7
	C'est ainsi que tu t'épanches	7
70	Sur nos cœurs que tu soumets.	7
	D'un cygne il ne peut jamais	7
	Tomber que des plumes blanches !	7

18 octobre 1835.