Métrique en Ligne
HUG_14/HUG204
Victor HUGO
Les Chants du Crépuscule
1835
XX
I
L'aurore s'allume, 5
L'ombre épaisse fuit ; 5
Le rêve et la brume 5
Vont où va la nuit ; 5
5 Paupières et roses 5
S'ouvrent demi-closes ; 5
Du réveil des choses 5
On entend le bruit. 5
Tout chante et murmure, 5
10 Tout parle à la fois, 5
Fumée et verdure, 5
Les nids et les toits ; 5
Le vent parle aux chênes, 5
L'eau parle aux fontaines ; 5
15 Toutes les haleines 5
Deviennent des voix! 5
Tout reprend son âme, 5
L'enfant son hochet, 5
Le foyer sa flamme, 5
20 Le luth son archet ; 5
Folie ou démence, 5
Dans le monde immense, 5
Chacun recommence 5
Ce qu'il ébauchait. 5
25 Qu'on pense ou qu'on aime, 5
Sans cesse agité, 5
Vers un but suprême, 5
Tout vole emporté ; 5
L'esquif cherche un môle, 5
30 L'abeille un vieux saule, 5
La boussole un pôle, 5
Moi la vérité ! 5
II
Vérité profonde ! 5
Granit éprouvé 5
35 Qu'au fond de toute onde 5
Mon ancre a trouvé ! 5
De ce monde sombre 5
Où passent dans l'ombre 5
Des songes sans nombre, 5
40 Plafond et pavé! 5
Vérité, beau fleuve 5
Que rien ne tarit ! 5
Source où tout s'abreuve ! 5
Tige où tout fleurit! 5
45 Lampe que Dieu pose 5
Près de toute cause ! 5
Clarté que la chose 5
Envoie à l'esprit ! 5
Arbre à rude écorce, 5
50 Chêne au vaste front, 5
Que selon sa force 5
L'homme ploie ou rompt ; 5
D'où l'ombre s'épanche ; 5
Où chacun se penche, 5
55 L'un sur une branche, 5
L'autre sur le tronc ! 5
Mont d'où tout ruisselle ! 5
Gouffre où tout s'en va ! 5
Sublime étincelle 5
60 Que fait Jéhova ! 5
Rayon qu'on blasphème ! 5
Œil calme et suprême 5
Qu'au front de Dieu même 5
L'homme un jour creva ! 5
III
65 O terre, ô merveilles 5
Dont l'éclat joyeux 5
Emplit nos oreilles, 5
Éblouit nos yeux ! 5
Bords où meurt la vague, 5
70 Bois qu'un souffle élague, 5
De l'horizon vague 5
Plis mystérieux ! 5
Azur dont se voile 5
L'eau du gouffre amer, 5
75 Quand, laissant ma voile 5
Fuir au gré de l'air, 5
Penché sur la lame, 5
J'écoute avec l'âme 5
Cet épithalame 5
80 Que chante la mer! 5
Azur non moins tendre 5
Du ciel qui sourit, 5
Quand, tâchant d'entendre 5
Ce que dit l'esprit, 5
85 Je cherche, ô nature, 5
La parole obscure 5
Que le vent murmure, 5
Que l'étoile écrit ! 5
Création pure ! 5
90 Être universel ! 5
Océan, ceinture 5
De tout sous le ciel ! 5
Astres que fait naître 5
Le souffle du maître, 5
95 Fleurs où Dieu peut-être 5
Cueille quelque miel ! 5
O champs ! ô feuillages ! 5
Monde fraternel ! 5
Clocher des villages 5
100 Humble et solennel ! 5
Mont qui portes l'aire ! 5
Aube fraîche et claire, 5
Sourire éphémère 5
De l'astre éternel ! 5
105 N'êtes-vous qu'un livre 5
San fin ni milieu, 5
Où chacun pour vivre 5
Cherche à lire un peu ? 5
Phrase si profonde 5
110 Qu'en vain on la sonde! 5
L'œil y voit un monde, 5
L'âme y trouve un Dieu ! 5
Beau livre qu'achèvent 5
Les cœurs ingénus ; 5
115 Où les penseurs rêvent 5
Des sens inconnus ; 5
Où ceux que Dieu charge 5
D'un front vaste et large 5
Écrivent en marge : 5
120 Nous sommes venus ! 5
Saint livre où la voile 5
Qui flotte en tous lieux, 5
Saint livre où l'étoile 5
Qui rayonne aux yeux, 5
125 Ne trace, ô mystère ! 5
Qu'un nom solitaire, 5
Qu'un nom sur la terre, 5
Qu'un nom dans les cieux ! 5
Livre salutaire 5
130 Où le, cœur s'emplit ! 5
Où tout sage austère 5
Travaille et pâlit ! 5
Dont le sens rebelle 5
Parfois se révèle ! 5
135 Pythagore épèle 5
Et Moïse lit! 5
Décembre 1834.
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