Métrique en Ligne
HUG_13/HUG1090
Victor HUGO
La Fin de Satan
1886
LIVRE DEUXIÈME
HORS DE LA TERRE III
DANS L'AIR
CHANSON DES OISEAUX
Vie ! ô bonheur ! bois profonds, 7
Nous vivons. 3
L'essor sans fin nous réclame ; 7
Planons sur l'air et les eaux ! 7
5 Les oiseaux 3
Sont de la poussière d'âme. 7
Accourez, planez ! volons 7
Aux vallons, 3
A l'antre, à l'arbre, à l'asile ! 7
10 Perdons-nous dans cette mer 7
De l'éther 3
Où la nuée est une île ! 7
Du fond des rocs et des joncs 7
Des donjons, 3
15 Des monts que le jour embrase, 7
Volons, et, frémissants, fous, 7
Plongeons-nous 3
Dans l'inexprimable extase ! 7
Oiseaux, volez aux clochers, 7
20 Aux rochers, 3
Au précipice, à la cime, 7
Aux glaciers, aux lacs, aux prés ; 7
Savourez 3
La liberté de l'abîme ! 7
25 Vie ! azur ! rayons ! frissons ! 7
Traversons 3
La vaste gaîté sereine, 7
Pendant que sur les vivants, 7
Dans les vents, 3
30 L'ombre des nuages traîne ! 7
Avril ouvre à deux battants 7
Le printemps ; 3
L'été le suit, et déploie 7
Sur la terre un beau tapis 7
35 Fait d'épis, 3
D'herbe, de fleurs, et de joie. 7
Buvons, mangeons ; becquetons 7
Les festons 3
De la ronce et de la vigne ; 7
40 Le banquet dans la forêt 7
Est tout prêt ; 3
Chaque branche nous fait signe. 7
Les pivoines sont en feu ; 7
Le ciel bleu 3
45 Allume cent fleurs écloses ; 7
Le printemps est pour nos yeux 7
Tout joyeux 3
Une fournaise de roses. 7
Tu nous dores aussi tous, 7
50 Feu si doux 3
Qui du haut des cieux ruisselles ; 7
Les aigles sont dans les airs 7
Des éclairs, 3
Les moineaux des étincelles. 7
55 Nous rentrons dans les rayons ; 7
Nous fuyons 3
Dans la clarté notre mère ; 7
L'oiseau sort de la forêt 7
Et paraît 3
60 S'évanouir en lumière. 7
Parfois on rampe accablé 7
Dans le blé, 3
Mais juillet a pour ressource 7
L'ombre, où, loin des chauds sillons, 7
65 Nous mouillons 3
Nos pieds roses dans la source. 7
Depuis qu'ils sont sous les cieux, 7
Soucieux 3
Du bonheur de la prairie, 7
70 L'herbe et l'arbre chevelu 7
Ont voulu 3
Dans leur tendre rêverie 7
Qu'à jamais le fruit, le grain, 7
L'air serein, 3
75 L'amourette, la nichée, 7
L'aube, la chanson, l'appât, 7
Occupât 3
Notre joie effarouchée. 7
Vivons ! chantons ! Tout est pur 7
80 Dans l'azur ; 3
Tout est beau dans la lumière ; 7
Tour vers son but, jour et nuit, 7
Est conduit ; 3
Sans se tromper, le fleuve erre. 7
85 Toute la campagne rit ; 7
Un esprit 3
Palpite sous chaque feuille ; 7
— Aimons ! murmure une voix 7
Dans les bois ; 3
90 Et la fleur veut qu'on la cueille. 7
Quand l'iris a diapré 7
Tout le pré, 3
Quand le jour plus tiède augmente, 7
Quand le soir luit dans l'étang 7
95 Éclatant, 3
Quand la verdure est charmante, 7
Que dit l'essaim ébloui ; 7
Oui ! oui ! oui ! 3
Les collines, les fontaines, 7
100 Les bourgeons verts, les fruits mûrs, 7
Les azurs 3
Pleins de visions lointaines, 7
Le champ, le lac, le marais, 7
L'antre frais, 3
105 Composent, sans pleurs ni peine, 7
Et font monter vers le ciel 7
Éternel 3
L'affirmation sereine ! 7
L'aube et l'éblouissement 7
110 Vont semant 3
Partout des perles de flamme ; 7
L'oiseau n'est pas orphelin ; 7
Tout est plein 3
De la mystérieuse âme ! 7
115 Quelqu'un que l'on ne voit pas 7
Est là-bas 3
Dans la maison qu'on ignore ; 7
Et cet inconnu bénit 7
Notre nid, 3
120 Et sa fenêtre est l'aurore. 7
Et c'est à cause de lui 7
Que l'appui 3
Jamais ne manque à nos ailes, 7
Et que les colombes vont 7
125 Sur le mont 3
Boire où boivent les gazelles. 7
Grâce à ce doux inconnu, 7
Adam nu 3
Nous souriait sous les branches ; 7
130 Le cygne sous le bouleau 7
A de l'eau 3
Pour laver ses plumes blanches. 7
Grâce à lui, le piquebois 7
Vit sans lois, 3
135 Chéri des pins vénérables, 7
Et délivrant des fourmis 7
Ses amis 3
Les tilleuls et les érables. 7
Grâce à lui, le passereau 7
140 Du sureau 3
S'envole, et monte au grand orme ; 7
C'est lui qui fait le buisson 7
De façon 3
Qu'on y chante et qu'on y dorme. 7
145 Il nous met tous à l'abri, 7
Colibri, 3
Chardonneret, hochequeue, 7
Tout l'essaim que l'air ravit 7
Et qui vit 3
150 Dans la grande lueur bleue. 7
A cause de lui, les airs 7
Et les mers, 3
Les bois d'aulnes et d'yeuses 7
La sauge en fleur, le matin, 7
155 Et le thym, 3
Sont des fêtes radieuses ; 7
Les blés sont dorés, les cieux 7
Spacieux, 3
L'eau joyeuse et l'herbe douce ; 7
160 Mais il se fiche souvent 7
Quand le vent 3
Nous vole nos brins de mousse. 7
Il dit au vent : — Paix, autan ; 7
Et va-t'en ; 3
165 Laisse mes oiseaux tranquilles. 7
Arrache, si tu le veux, 7
Leurs cheveux 3
De fumée aux sombres villes ! — 7
Celui sous qui nous planons 7
170 Sait nos noms. 3
Nous chantons. Que nous importe ; 7
Notre humble essor ignorant 7
Est si grand ! 3
Notre faiblesse est si forte ! 7
175 La tempête au vol tonnant, 7
Déchaînant 3
Les trombes, les bruits, les grêles, 7
Fouettant, malgré leurs sanglots, 7
Les grands flots, 3
180 S'émousse à nos plumes frêles. 7
Il veut les petits contents, 7
Le beau temps, 3
Et l'innocence sauvée ; 7
Il abaisse, calme et doux, 7
185 Comme nous, 3
Ses ailes sur sa couvée. 7
Grâce à lui, sous le hallier 7
Familier 3
A notre aile coutumière, 7
190 Sur les mousses de velours, 7
Nos amours 3
Coulent dans de la lumière. 7
Il est bon ; et sa bonté 7
C'est l'été ; 3
195 C'est le charmant sorbier rouge ; 7
C'est que rien ne vienne à nous 7
Dans nos trous 3
Sans que le feuillage bouge. 7
Sa bonté, c'est Tout ; c'est l'air, 7
200 Le feu clair, 3
Le bois où, dans la nuit brune, 7
Ta chanson, qui prend son vol, 7
Rossignol, 3
Semble un rêve de la lune. 7
205 C'est ce qu'au gré des saisons 7
Nous faisons ; 3
C'est le rocher que l'eau creuse ; 7
C'est l'oiseau, des vents bercé, 7
Composé 3
210 D'une inquiétude heureuse. 7
Il est puissant, étoilé, 7
Et voilé. 3
Le soir, avec les murmures 7
Des troupeaux qu'on reconduit, 7
215 Et le bruit 3
Des abeilles sous les mûres, 7
Avec la nuit sur les toits, 7
Sur les bois, 3
Sur les montagnes prochaines, 7
220 C'est sa grandeur qui descend, 7
Et qu'on sent 3
Dans le tremblement des chênes. 7
Il n'eut qu'à vouloir un jour, 7
Et l'amour 3
225 Devint l'harmonie immense ; 7
Tous les êtres étaient là ; 7
Il mêla 3
Sa sagesse à leur démence. 7
Il voulut que tout fût un ; 7
230 Le parfum 3
Eut pour sœur l'aurore pure ; 7
Et les choses, se touchant 7
Dans un chant, 3
Furent la sainte nature. 7
235 Il mit sur les flots, profonds 7
Les typhons ; 3
Il mit la fleur sur la tige ; 7
Il se montra fulgurant 7
Dans le grand ; 3
240 Le petit fut son prodige. 7
Avec la même beauté 7
Sa clarté 3
Créa l'aimable et l'énorme ; 7
Il fit sortir l'alcyon 7
245 Du rayon 3
Qui baise la mer difforme. 7
L'effrayant devint charmant ; 7
L'élément, 3
Monstre, colosse, fantôme, 7
250 Par Lui, qui le veut ainsi, 7
Radouci, 3
Vint s'accoupler à l'atome. 7
On vit alors dans Ophir 7
L'humble asfir 3
255 Vert comme l'hydre farouche ; 7
Le flamboiement de l'Etna 7
Rayonna 3
Sur l'aile de l'oiseau-mouche. 7
Vie est le mot souverain, 7
260 Et serein, 3
Sans fin, sans forme, sans nombre, 7
Tendre, inépuisable, ardent, 7
Débordant 3
De toute la terre sombre. 7
265 L'aube se marie au soir ; 7
Le bec noir 3
Au bec flamboyant se mêle ; 7
L'éclair, mâle affreux, poursuit 7
Dans la nuit 3
270 La mer, sa rauque femelle. 7
Volons, volons, et volons ! 7
Les sillons 3
Sont rayés, et l'onde est verte. 7
La vie est là sous nos yeux, 7
275 Dans les cieux, 3
Claire et toute grande ouverte. 7
Hirondelle, fais ton nid, 7
Le granit 3
T'offre son ombre et ses lierres ; 7
280 Aux palais pour tes amours 7
Prends des tours, 3
Et de la paille aux chaumières. 7
Le nid que l'oiseau bâtit 7
Si petit, 3
285 Est une chose profonde ; 7
L'œuf ôté de la forêt 7
Manquerait 3
A l'équilibre du monde. 7
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