Métrique en Ligne
HUG_12/HUG953
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
XV
LAUS PUERO
II
LE SYLLABUS
Tout en mangeant d'un air effaré vos oranges, 12
Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, 12
Me redouter un peu ; 6
Pourquoi ? c'est ma bonté qu'il faut toujours attendre, 12
5 Jeanne, et c'est le devoir de l'aïeul d'être tendre 12
Et du ciel d'être bleu. 6
N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fâché, je gronde, 12
Non contre vous. Hélas, enfants, dans ce vil monde, 12
Le prêtre hait et ment ; 6
10 Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles 12
Un sombre brouhaha de choses imbéciles 12
Qui passe en ce moment. 6
Les prêtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. 12
La plaine resplendit ; viens, Jeanne, avec ton frère, 12
15 Viens, George, avec ta sœur ; 6
Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumière ; 12
Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumière ; 12
Et d'eux, c'est la noirceur. 6
J'aime une petitesse et je déteste l'autre ; 12
20 Je hais leur bégaiement et j'adore le vôtre ; 12
Enfants, quand vous parlez, 6
Je me penche, écoutant ce que dit l'âme pure, 12
Et je crois entrevoir une vague ouverture 12
Des grands cieux étoilés. 6
25 Car vous étiez hier, ô doux parleurs étranges, 12
Les interlocuteurs des astres et des anges ; 12
En vous rien n'est mauvais ; 6
Vous m'apportez, à moi sur qui gronde la nue, 12
On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue ; 12
30 Vous en venez, j'y vais. 6
Ce que vous dites sort du firmament austère ; 12
Quelque chose de plus que l'homme et que la terre 12
Est dans vos jeunes yeux ; 6
Et votre voix où rien n'insulte, où rien ne blâme, 12
35 Où rien ne mord, s'ajoute au vaste épithalame 12
Des bois mystérieux. 6
Ce doux balbutiement me plaît, je le préfère ; 12
Car j'y sens l'idéal ; j'ai l'air de ne rien faire 12
Dans les fauves forêts. 6
40 Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'écoute 12
L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte à goutte 12
Au fond des antres frais. 6
Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie 12
Parle la même langue à l'âme inassouvie ; 12
45 En bas nous étouffons ; 6
Mais rêver, c'est planer dans les apothéoses, 12
C'est comprendre ; et les nids disent les mêmes choses 12
Que les tombeaux profonds. 6
Les prêtres vont criant : Anathème ! anathème ! 12
50 Mais la nature dit de toutes parts : Je t'aime ! 12
Venez, enfants ; le jour 6
Est partout, et partout on voit la joie éclore ; 12
Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore 12
Que l'âme n'a d'amour. 6
55 J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmées ; 12
Mais ne me craignez pas ; les fleurs sont embaumées, 12
Les bois sont triomphants ; 6
Le printemps est la fête immense, et nous en sommes ; 12
Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, 12
60 Non aux petits enfants. 6
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