Métrique en Ligne
HUG_12/HUG941
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
IX
LES FREDAINES DU GRAND-PÈRE ENFANT
(1811)
PÉPITA
Comme elle avait la résille, 7
D'abord la rime hésita. 7
Ce devait être Inésille… — 7
Mais non, c'était Pépita. 7
5 Seize ans. Belle et grande fille… — 7
(Ici la rime insista : 7
Rimeur, c'était Inésille. 7
Rime, c'était Pépita.) 7
Pépita… — Je me rappelle ! 7
10 Oh ! le doux passé vainqueur, 7
Tout le passé, pêle-mêle 7
Revient à flots dans mon cœur ; 7
Mer, ton flux roule et rapporte 7
Les varechs et les galets. 7
15 Mon père avait une escorte ; 7
Nous habitions un palais ; 7
Dans cette Espagne que j'aime, 7
Au point du jour, au printemps, 7
Quand je n'existais pas même, 7
20 Pépita — j'avais huit ans — 7
Me disait : — Fils, je me nomme 7
Pepa ; mon père est marquis. — 7
Moi, je me croyais un homme, 7
Étant en pays conquis. 7
25 Dans sa résille de soie 7
Pepa mettait des doublons ; 7
De la flamme et de la joie 7
Sortaient de ses cheveux blonds. 7
Tout cela, jupe de moire, 7
30 Veste de toréador, 7
Velours bleu, dentelle noire, 7
Dansait dans un rayon d'or. 7
Et c'était presque une femme 7
Que Pépita mes amours. 7
35 L'indolente avait mon âme 7
Sous son coude de velours. 7
Je palpitais dans sa chambre 7
Comme un nid près du faucon, 7
Elle avait un collier d'ambre, 7
40 Un rosier sur son balcon. 7
Tous les jours un vieux qui pleure 7
Venait demander un sou ; 7
Un dragon à la même heure 7
Arrivait je ne sais d'où. 7
45 Il piaffait sous la croisée, 7
Tandis que le vieux râlait 7
De sa vieille voix brisée : 7
La charité, s'il vous plaît ! 7
Et la belle au collier jaune, 7
50 Se penchant sur son rosier, 7
Faisait au pauvre l'aumône 7
Pour la faire à l'officier. 7
L'un plus fier, l'autre moins sombre, 7
Ils partaient, le vieux hagard 7
55 Emportant un sou dans l'ombre, 7
Et le dragon un regard. 7
J'étais près de la fenêtre, 7
Tremblant, trop petit pour voir, 7
Amoureux sans m'y connaître, 7
60 Et bête sans le savoir. 7
Elle disait avec charme : 7
Marions-nous ! choisissant 7
Pour amoureux le gendarme 7
Et pour mari l'innocent. 7
65 Je disais quelque sottise ; 7
Pepa répondait : Plus bas ! 7
M'éteignant comme on attise ; 7
Et, pendant ces doux ébats, 7
Les soldats buvaient des pintes 7
70 Et jouaient au domino 7
Dans les grandes chambres peintes 7
Du palais Masserano. 7
logo du CRISCO logo de l'université