|
Pourquoi donc s'en est-il allé, le doux amour ? |
12 |
|
Ils viennent un moment nous faire un peu de jour, |
12 |
|
Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres, |
12 |
|
Sont à quelqu'un qui n'est pas nous. Mais les deux autres, |
12 |
5 |
Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois, |
12 |
|
Tous les deux. Ils sont deux, ils pourraient être trois. |
12 |
|
Voici l'heure d'aller se promener dans l'ombre |
12 |
|
Des grands bois, pleins d'oiseaux dont Dieu seul sait le nombre |
12 |
|
Et qui s'envoleront aussi dans l'inconnu. |
12 |
10 |
Il a son chapeau blanc, elle montre un pied nu, |
12 |
|
Tous deux sont côte à côte ; on marche à l'aventure, |
12 |
|
Et le ciel brille, et moi je pousse la voiture. |
12 |
|
Toute la plaine en fleur a l'air d'un paradis ; |
12 |
|
Le lézard court au pied des vieux saules, tandis |
12 |
15 |
Qu'au bout des branches vient chanter le rouge-gorge. |
12 |
|
Mademoiselle Jeanne a quinze mois, et George |
12 |
|
En a trente ; il la garde ; il est l'homme complet ; |
12 |
|
Des filles comme ça font son bonheur ; il est |
12 |
|
Dans l'admiration de ces jolis doigts roses, |
12 |
20 |
Leur compare, en disant toutes sortes de choses, |
12 |
|
Ses grosses mains à lui qui vont avoir trois ans, |
12 |
|
Et rit ; il montre Jeanne en route aux paysans. |
12 |
|
Ah dame ! il marche, lui ; cette mioche se traîne ; |
12 |
|
Et Jeanne rit de voir Georges rire ; une reine |
12 |
25 |
Sur un trône, c'est là Jeanne dans son panier ; |
12 |
|
Elle est belle ; et le chêne en parle au marronnier, |
12 |
|
Et l'orme la salue et la montre à l'érable, |
12 |
|
Tant sous le ciel profond l'enfance est vénérable. |
12 |
|
George a le sentiment de sa grandeur ; il rit |
12 |
30 |
Mais il protège, et Jeanne a foi dans son esprit ; |
12 |
|
Georges surveille avec un air assez farouche |
12 |
|
Cette enfant qui parfois met un doigt dans sa bouche ; |
12 |
|
Les sentiers sont confus et nous nous embrouillons. |
12 |
|
Comme tout le bois sombre est plein de papillons, |
12 |
35 |
Courons, dit George. Il veut descendre. Jeanne est gaie. |
12 |
|
Avec eux je chancelle, avec eux je bégaie. |
12 |
|
Oh ! l'adorable joie, et comme ils sont charmants ! |
12 |
|
Quel hymne auguste au fond de leurs gazouillements ! |
12 |
|
Jeanne voudrait avoir tous les oiseaux qui passent ; |
12 |
40 |
Georges vide un pantin dont les ressorts se cassent, |
12 |
|
Et médite ; et tous deux jasent ; leurs cris joyeux |
12 |
|
Semblent faire partout dans l'ombre ouvrir des yeux ; |
12 |
|
Georges, tout en mangeant des nèfles et des pommes, |
12 |
|
M'apporte son jouet ; moi qui connais les hommes |
12 |
45 |
Mieux que George, et qui sait les secrets du destin, |
12 |
|
Je raccommode avec un fil son vieux pantin. |
12 |
|
Mon Georges, ne va pas dans l'herbe ; elle est trempée. |
12 |
|
Et le vent berce l'arbre, et Jeanne sa poupée. |
12 |
|
On sent Dieu dans ce bois pensif dont la douceur |
12 |
50 |
Se mêle à la gaîté du frère et de la sœur ; |
12 |
|
Nous obéissons, Jeanne et moi, Georges commande ; |
12 |
|
La nourrice leur chante une chanson normande, |
12 |
|
De celles qu'on entend le soir sur les chemins, |
12 |
|
Et Georges bat du pied, et Jeanne bat des mains. |
12 |
55 |
Et je m'épanouis à leurs divins vacarmes, |
12 |
|
Je ris ; mais vous voyez sous mon rire mes larmes, |
12 |
|
Vieux arbres, n'est-ce pas ? et vous n'avez pas cru |
12 |
|
Que j'oublierai jamais le petit disparu. |
12 |