Métrique en Ligne
HUG_12/HUG910
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
I
A GUERNESEY
X
PRINTEMPS
Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux ; 12
Les oiseaux semblent d'air et de lumière fous ; 12
L'âme dans l'infini croit voir un grand sourire. 12
À quoi bon exiler, rois ? à quoi bon proscrire ? 12
5 Proscrivez-vous l'été ? m'exilez-vous des fleurs ? 12
Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs, 12
Les clartés, d'être là, sans joug, sans fin, sans nombre, 12
Et de me faire fête, à moi banni, dans l'ombre ? 12
Pouvez-vous m'amoindrir les grands flots haletants, 12
10 L'océan, la joyeuse écume, le printemps 12
Jetant les parfums comme un prodigue en démence, 12
Et m'ôter un rayon de ce soleil immense ? 12
Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez, 12
Et tâchez d'être rois longtemps, si vous pouvez. 12
15 Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille, 12
Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille, 12
Et je l'emporte, ayant pour conquête une fleur. 12
Quand, au-dessus de moi, dans l'arbre, un querelleur, 12
Un mâle, cherche noise à sa douce femelle, 12
20 Ce n'est pas mon affaire et pourtant je m'en mêle, 12
Je dis : Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois ! 12
Je les réconcilie avec ma grosse voix ; 12
Un peu de peur qu'on fait aux amants les rapproche. 12
Je n'ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche ; 12
25 Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer, 12
Mon bassin n'est pas grand, mais il n'est pas amer. 12
Ce coin de terre est humble et me plaît ; car l'espace 12
Est sur ma tête, et l'astre y brille, et l'aigle y passe, 12
Et le vaste Borée y plane éperdument. 12
30 Ce parterre modeste et ce haut firmament 12
Sont à moi ; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe 12
M'aiment, et je sens croître en moi l'oubli superbe. 12
Je voudrais bien savoir comment je m'y prendrais 12
Pour me souvenir, moi l'hôte de ces forêts 12
35 Qu'il est quelqu'un, là-bas, au loin, sur cette terre, 12
Qui s'amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre, 12
Puisque je suis là seul devant l'immensité, 12
Et puisqu'ayant sur moi le profond ciel d'été 12
Où le vent souffle avec la douceur d'une lyre, 12
40 J'entends dans le jardin les petits enfants rire. 12
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