Métrique en Ligne
HUG_10/HUG175
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
XXXII
POUR LES PAUVRES
Qui donne au pauvre prête à Dieu.
V. H.
Dans vos fêtes d'hiver, riches, heureux du monde, 12
Quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde, 12
Quand partout à l'entour de vos pas vous voyez 12
Briller et rayonner cristaux, miroirs, balustres, 12
5 Candélabres ardents, cercle étoilé des lustres, 12
Et la danse, et la joie au front des conviés ; 12
Tandis qu'un timbre d'or sonnant dans vos demeures 12
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures, 12
Oh ! songez-vous parfois que, de faim dévoré, 12
10 Peut-être un indigent dans les carrefours sombres 12
S'arrête, et voit danser vos lumineuses ombres 12
Aux vitres du salon doré ; 8
Songez-vous qu'il est là sous le givre et la neige, 12
Ce père sans travail que la famine assiège ? 12
15 Et qu'il se dit tout bas : « Pour un seul que de biens ! 12
À son large festin que d'amis se récrient ! 12
Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient ! 12
Rien que dans leurs jouets que de pain pour les miens ! » 12
Et puis à votre fête il compare en son âme 12
20 Son foyer où jamais ne rayonne une flamme, 12
Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau, 12
Et, sur un peu de paille, étendue et muette, 12
L'aïeule, que l'hiver, hélas ! a déjà faite 12
Assez froide pour le tombeau ! 8
25 Car Dieu mit ces degrés aux fortunes humaines. 12
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines ; 12
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés. 12
Tous n'y sont point assis également à l'aise. 12
Une loi, qui d'en bas semble injuste et mauvaise, 12
30 Dit aux uns : JOUISSEZ ! aux autres : ENVIEZ ! 12
Cette pensée est sombre, amère, inexorable, 12
Et fermente en silence au cœur du misérable. 12
Riches, heureux du jour, qu'endort la volupté, 12
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache 12
35 Tous ces biens superflus où son regard s'attache ; — 12
Oh ! que ce soit la charité ! 8
L'ardente charité, que le pauvre idolâtre ! 12
Mère de ceux pour qui la fortune est marâtre, 12
Qui relève et soutient ceux qu'on foule en passant, 12
40 Qui, lorsqu'il le faudra, se sacrifiant toute, 12
Comme le Dieu martyr dont elle suit la route, 12
Dira : « Buvez ! mangez ! c'est ma chair et mon sang. » 12
Que ce soit elle, oh ! oui, riches ! que ce soit elle 12
Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle, 12
45 Perles, saphirs, joyaux toujours faux, toujours vains, 12
Pour nourrir l'indigent et pour sauver vos âmes, 12
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes 12
Arrache tout à pleines mains ! 8
Donnez, riches ! L'aumône est sœur de la prière. 12
50 Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre, 12
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux ; 12
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies, 12
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies, 12
La face du Seigneur se détourne de vous. 12
55 Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles, 12
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles ; 12
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit ; 12
Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges ; 12
Afin d'être meilleurs ; afin de voir les anges 12
60 Passer dans vos rêves la nuit ! 8
Donnez ! il vient un jour où la terre nous laisse. 12
Vos aumônes là-haut vous font une richesse. 12
Donnez ! afin qu'on dise : « Il a pitié de nous ! » 12
Afin que l'indigent que glacent les tempêtes, 12
65 Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes, 12
Au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux. 12
Donnez ! pour être aimés du Dieu qui se fit homme, 12
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme, 12
Pour que votre foyer soit calme et fraternel ; 12
70 Donnez ! afin qu'un jour à votre heure dernière, 12
Contre tous vos péchés vous ayez la prière 12
D'un mendiant puissant au ciel ! 8
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