Métrique en Ligne
HUG_10/HUG163
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
XX
Beau, frais, souriant d'aise à cette vie amère.
SAINTE-BEUVE.
Dans l'alcôve sombre, 5
Près d'un humble autel, 5
L'enfant dort à l'ombre 5
Du lit maternel. 5
5 Tandis qu'il repose, 5
Sa paupière rose, 5
Pour la terre close, 5
S'ouvre pour le ciel. 5
Il fait bien des rêves. 5
10 Il voit par moments 5
Le sable des grèves 5
Plein de diamants, 5
Des soleils de flammes, 5
Et de belles dames 5
15 Qui portent des âmes 5
Dans leurs bras charmants. 5
Songe qui l'enchante ! 5
Il voit des ruisseaux. 5
Une voix qui chante 5
20 Sort du fond des eaux. 5
Ses sœurs sont plus belles. 5
Son père est près d'elles. 5
Sa mère a des ailes 5
Comme les oiseaux. 5
25 Il voit mille choses 5
Plus belles encor ; 5
Des lys et des roses 5
Plein le corridor ; 5
Des lacs de délice 5
30 Où le poisson glisse, 5
Où l'onde se plisse 5
À des roseaux d'or ! 5
Enfant, rêve encore ! 5
Dors, ô mes amours ! 5
35 Ta jeune âme ignore 5
Où s'en vont tes jours. 5
Comme une algue morte 5
Tu vas, que t'importe ! 5
Le courant t'emporte, 5
40 Mais tu dors toujours ! 5
Sans soin, sans étude, 5
Tu dors en chemin ; 5
Et l'inquiétude, 5
À la froide main, 5
45 De son ongle aride 5
Sur ton front candide 5
Qui n'a point de ride, 5
N'écrit pas : Demain ! 5
Il dort, innocence ! 5
50 Les anges sereins 5
Qui savent d'avance 5
Le sort des humains, 5
Le voyant sans armes, 5
Sans peur, sans alarmes, 5
55 Baisent avec larmes 5
Ses petites mains. 5
Leurs lèvres effleurent 5
Ses lèvres de miel. 5
L'enfant voit qu'ils pleurent 5
60 Et dit : Gabriel ! 5
Mais l'ange le touche, 5
Et, berçant sa couche, 5
Un doigt sur sa bouche, 5
Lève l'autre au ciel ! 5
65 Cependant sa mère, 5
Prompte à le bercer, 5
Croit qu'une chimère 5
Le vient oppresser. 5
Fière, elle l'admire, 5
70 L'entend qui soupire, 5
Et le fait sourire 5
Avec un baiser. 5
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